Des droits et des devoirs

L’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 stipule que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Cette formule a d’ailleurs servi de base à plusieurs textes constitutionnels et a acquis sous cette forme une force de loi fondamentale sur laquelle viennent s’appuyer les Constitutions successives jusqu’à nos jours. Cette idée de l’égalité des hommes entre eux était à l’époque, et le demeure, tout à fait subversive et révolutionnaire. Au point que les conservateurs de tout poil se sont empressés de la dénaturer en lui opposant des contreparties sous forme de « devoirs » pour annihiler les effets de cette liberté pernicieuse.

Nous en avons un parfait exemple à propos du droit de grève que les contrôleurs de la SNCF entendent exercer au moment des congés scolaires, celui qui dérange le plus les usagers, faute de pouvoir obtenir la satisfaction de leurs revendications. La droite crie comme d’habitude à la prise en otage des voyageurs, ce qui est particulièrement déplacé quand une centaine de personnes sont encore réellement retenues en territoire palestinien et risquent leur vie à tout moment. Mais la palme de l’indécence revient au Premier ministre, Gabriel Attal, qui trouve le moyen de reconnaître le droit de grève tout en le vidant de sa substance dans un charabia incompréhensible, invoquant « le devoir de travailler », un concept introduit tardivement que l’on ne peut comprendre que comme une tentative de reprendre de l’autre main ce que la première avait accordé. Les conservateurs et les réactionnaires n’ont de cesse de vouloir imposer des devoirs aux citoyens, pour éviter de tirer les conséquences des droits fondamentaux acquis à leur naissance.

Le clivage entre droits et devoirs s’est également fait sentir il y a peu, lorsqu’il a été question d’inscrire le droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution. Alors que les députés à l’origine du texte proposaient d’en faire un droit, inaliénable, les sénateurs emmenés par un Gérard Larcher et un Bruno Retailleau rétrogrades, proposaient d’en faire une simple liberté dans un texte beaucoup moins contraignant. Or, nous savons bien que l’enfer est pavé de bonnes intentions et la Déclaration des droits a beau être gravée dans le marbre constitutionnel et avoir survécu aux aléas des régimes successifs, devenant même « universelle » en 1948, son exercice effectif peut être remis en question au détour d’une formule d’un « petit maître » imbu de sa personne à qui le pouvoir monte à la tête. C’est ainsi que les hommes, y compris en France, naissent en effet généralement égaux, mais seulement en droits, car dans la réalité effective, les inégalités sociales demeurent criantes. Comme disait Coluche, pour ceux qui seront noirs, petits et moches, ça sera très dur !