L’acquitteur acquitté
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le jeudi 30 novembre 2023 11:23
- Écrit par Claude Séné
Ouf ! on l’a échappé belle… Rendez-vous compte de l’effet désastreux qu’aurait eu une condamnation du ministre de la Justice pour de possibles conflits d’intérêts ! Fort heureusement, Dieu, ou son plus proche représentant dans notre superbe pays, j’ai nommé Emmanuel Macron, en soit loué, la justice en a décidé autrement. Et dans son immense sagesse, la cour de Justice de la République, tel Salomon arbitrant entre les deux mères qui réclamaient chacune la maternité d’un même enfant, a rendu un jugement que d’aucuns estimeront contradictoire, et les autres, équilibré, comme on le dit volontiers au sommet de l’état.
Oui, les faits de prise illégale d’intérêts reprochés à Éric Dupond-Moretti sont bel et bien constitués, mais, non, il n’a pas eu « l’intention » de commettre un délit. En conséquence, la CJR a relaxé purement et simplement le ministre, puisqu’il n’a pas fait exprès de nuire aux magistrats qui ont fait l’objet d’enquêtes administratives. Un verdict d’autant plus étonnant que la CJR est composée en majorité de parlementaires issus de l’opposition, qui auraient pu être tentés de sanctionner un opposant politique dans un procès qui ne l’était pas moins. La clémence des réquisitions contre le ministre, un an de prison avec sursis, pouvait annoncer un verdict non moins symbolique, condamnant le Garde des Sceaux pour le principe, tout en le dispensant de peine, pour l’exemple. Alors le vote favorable probable des 4 parlementaires issus des Républicains n’a sans doute pas été acquis par des négociations de « donnant-donnant », mais le résultat est cependant que le pouvoir est redevable d’une sorte de faveur qui appelle un renvoi d’ascenseur.
Une autre interprétation du résultat de ce procès, qui risque de prévaloir dans l’esprit des Français, c’est que les loups ne se dévorent pas entre eux et que les réflexes de classe, pour ne pas dire de caste, ont conduit à une certaine indulgence à l’égard d’un puissant, que n’aurait pas eu un jury populaire. Cela amène aussi de l’eau au moulin de ceux qui militent pour la suppression de la CJR au profit de la justice « ordinaire ». Car nous ne sommes toujours pas sortis d’une auberge bien dangereuse avec le nouveau procès en cours à l’encontre d’Olivier Dussopt, ministre du Travail, pour des soupçons de favoritisme quand il était maire d’Annonay. Lui aussi encourt dix mois de prison avec sursis et 15 000 euros d’amende devant le tribunal correctionnel. Tout ça fait évidemment désordre, et l’on se demande qui sera le prochain sur la liste, et s’il ne faudrait pas commencer le casting en vue du prochain remaniement, en cas de condamnation. Les candidats aux postes de ministres de la République risquent de moins se bousculer au portillon, car le vivier a tendance à s’assécher et les fonds de tiroir à se vider. Si en plus il faut prévoir des frais de justice, où va-t-on ?