Le signal-prix

Aurélien Rousseau, ministre de la Santé, a présenté hier le plan du gouvernement pour la lutte contre le tabagisme, qui se donne pour objectif de faire baisser significativement la consommation d’ici à 2027, pour parvenir à se débarrasser du tabac dès 2032. Un programme ambitieux, qui repose sur deux leviers. Le premier, avec lequel on ne peut qu’être d’accord, consiste à augmenter les zones sans tabac, un mouvement déjà amorcé, et plutôt bien toléré par les fumeurs eux-mêmes, dont la plupart aimeraient bien s’arrêter, sans pouvoir y parvenir. L’interdiction des « puffs » destinées aux plus jeunes et risquant de les encourager dans la voie du tabagisme va dans le même sens.

Le deuxième levier principal est naturellement le prix. Et là, on peut dire que le ministre a tout faux, qu’il le sait, et qu’il s’entête dans l’erreur. Toutes les études scientifiques l’ont abondamment démontré. Seule une augmentation significative du prix de vente permet de créer un choc psychologique susceptible de persuader une personne déjà sensibilisée d’arrêter de consommer pour des raisons financières. Bien sûr, n’importe quel gros fumeur est capable de calculer le budget que représente le tabac dans ses dépenses courantes. Cumulée sur une semaine, un mois, voire des années, chacun peut mesurer la ponction plus ou moins importante sur ses ressources, et qui pourrait être employée différemment, y compris pour se faire plaisir. Néanmoins, au quotidien, personne ou presque ne fera ce calcul, à moins d’y être incité par une prise de conscience provoquée par une augmentation significative. Ce qui est prévu, passer de 10 euros le paquet de cigarettes à 12 euros en 2025 puis à 13 euros en 2027, tout en suivant l’inflation par paliers de 20 à 40 centimes, va complètement invisibiliser le processus. Ce que les économistes appellent le signal-prix, supposé alerter les acheteurs pour les inciter à diminuer ou arrêter leur consommation, sera donc affaibli, voire inaudible.

Cette stratégie va surtout alimenter les soupçons de prendre les fumeurs pour des vaches à lait et faire douter de la volonté du gouvernement de faire baisser ses propres recettes fiscales. Il semble aussi redouter la grogne des buralistes, confrontés à la concurrence des contrebandiers et des frontaliers, à qui il lance un os à ronger sous la forme de vente de munitions. Je finirai par une anecdote en forme de parabole. Ayant commencé très jeune une carrière de fumeur que j’ai heureusement interrompue depuis assez longtemps, je me suis retrouvé vers l’âge de 14 ans confronté à un dilemme avec un ami pour finir nos vacances avec très peu d’argent. Il nous restait tout juste assez pour acheter soit un paquet de cigarettes, soit du pain. Nous avons convenu de tirer au sort : pile, le pain, ou face, les clopes. La pièce est tombée sur pile, et d’un commun accord, nous avons acheté les cigarettes.