Le retour du refoulé

J’emprunte ce titre à ce bon vieux Sigmund, qui désignait ainsi l’irruption inattendue de processus inconscients que l’on avait tenté en vain de se cacher à soi-même et aux autres. La comparaison a ses limites, car je l’applique ici au retour de Jérôme Cahuzac, ancien ministre du budget condamné pour fraude fiscale, et qui n’a cessé de mentir, tout à fait consciemment, pour dissimuler ses turpitudes, échapper aux sanctions qu’il encourait, et qui ont fini par le rattraper. Il a été condamné en 2016 à trois ans de prison ferme et à cinq ans d’inéligibilité pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale. En appel, sa peine sera portée à deux ans ferme et deux avec sursis, avec un aménagement sous bracelet électronique.

Techniquement, Jérôme Cahuzac a purgé sa peine, et rien ne l’empêche de briguer un nouveau mandat, ce qu’il « ne s’interdit pas ». Or, la démocratie représentative est ainsi faite que des personnages aussi contestables que les époux Balkany par exemple ont bénéficié constamment de l’indulgence des électeurs, alimentée par des pratiques de clientélisme avec l’argent des contribuables. Interrogé sur France Inter, l’ancien ministre justifie son retour sans la moindre vergogne, au nom d’un soi-disant droit « à la rédemption ». Il se garde bien de s’engager à ne plus frauder le fisc, ni à renoncer à mentir effrontément y compris devant les députés comme il l’a fait dans le passé, en regardant la France les yeux dans les yeux. Sa défense consiste à prétendre que s’il est coupable, il n’est pas le seul et qu’il a payé sa dette à la société. Et il ose également un glissement sémantique pour passer du registre moral, où le mensonge est blâmable, au terrain politique, où il fait partie du jeu.

Cette posture cynique, il l’assume, selon ce terme à la mode qui justifie tout et son contraire. Pour ma part, je préconiserais que les peines d’inéligibilité soient plus systématiques dans les cas d’infractions morales graves, et surtout définitives. Tout le monde n’est pas obligé de faire de la politique, et la plupart de ceux qui choisissent cette voie s’exposent à des périodes où ils n’exercent aucun mandat. Il n’y a rien de déshonorant à pratiquer une profession par ailleurs, je dirais même, au contraire. Depuis que Jérôme Cahuzac a été écarté de la vie politique, la société a très bien survécu, et s’est passée facilement de ce talent si particulier qui lui a permis de mentir avec un aplomb stupéfiant, au point que l’on en viendrait à douter de sa culpabilité si l’on n’en possédait pas des preuves irréfutables et s’il n’avait pas fini lui-même par reconnaître ses fautes dans l’espoir d’une indulgence de la Justice, ce qui a été le cas. Que l’ancien chirurgien se reconvertisse donc dans ce qu’il fait le mieux : « arracheur de dents ».