Fausse maladresse ou vraie contradiction ?

Le torchon brûle-t-il au sein du gouvernement ? Le ministre de l’Économie a parlé d’une « maladresse » à propos de la campagne publicitaire diffusée par l’ADEME, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, rebaptisée Agence de la transition écologique, pour inciter les Français à moins consommer, en réparant ou en privilégiant les produits de réemploi. Quatre spots publicitaires sont diffusés à la télévision, qui mettent en scène des « dévendeurs » chargés de dissuader les clients d’acheter des produits neufs quand une alternative existe. Cette campagne fait suite à une mesure gouvernementale de subventionnement des réparations, plus discrète, mais allant dans le même sens.

Ce n’est évidemment pas un hasard si cela intervient au moment même où le « black Friday » bat son plein, cette fête de la surconsommation où les acheteurs sont supposés faire des affaires, qui a commencé depuis au moins une semaine et s’étalera jusqu’à la fin du mois. Les commerçants s’estiment donc lésés par cette initiative qui les priverait d’une partie de leur chiffre d’affaires lié à ce qui est devenu un évènement incontournable. Ce sont surtout les acteurs du commerce de proximité qui protestent, c’est-à-dire ceux qui votent, une clientèle électorale à ménager, tandis que le e-commerce n’aurait pas grand-chose à craindre, lui qui a le vent en poupe et progresse inexorablement grâce à des prix agressifs et des livraisons souvent ultrarapides. D’où la déclaration un peu ambigüe de Bruno Lemaire pour soutenir le commerce de proximité tout en critiquant une incitation à la consommation excessive sur les plates-formes dématérialisées.

De son côté, Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique, dont je soulignais ici même l’inaction il y a peu, a dit « assumer » cette initiative, selon la terminologie à la mode, et refuse de retirer les spots incriminés, tout en reconnaissant une maladresse dans le timing. Dont acte. Car il faut du courage pour faire la moindre action dans ce ministère sensible. La plupart du temps, cela annonce le départ imminent du ministre, qui brûle ainsi ses vaisseaux, en considérant qu’il n’a plus rien à perdre. Tant que l’écologie se contente de traiter de la nature et de l’environnement, voire du cadre de vie sans toucher au domaine économique, tout va bien. Dès lors qu’elle vante un modèle différent de la consommation massive ou d’une agriculture productiviste, les choses commencent à se gâter. Le président lui-même aime à faire l’éloge de la sobriété, tant qu’elle ne va pas à l’encontre du business plan. Sans récuser l’aspect de la maladresse consubstantielle à ce pouvoir, cet incident illustre bien les contradictions inhérentes à la constitution même de ces gouvernements successifs, qui feignent de concilier l’inconciliable, sans toucher aux privilèges de ceux qui bénéficient le plus de cet état de fait.