Les nouveaux cyniques

Parmi les nombreuses grilles de lecture permettant d’analyser et tenter de comprendre le conflit israélo-palestinien, on est évidemment tenté de privilégier la théorie du « premier occupant » auquel appartiendrait la terre, selon la sagesse populaire à laquelle mon invitée consacrait son billet dimanche dernier. Premier obstacle, les preuves d’une occupation précoce de la région concernée sont sujettes à caution et controversées, car elle est revendiquée par les deux parties. L’affaire se complique instantanément par la question religieuse, à partir du moment où les peuples estiment que la terre leur est destinée de toute éternité, car ils seraient les plus méritants et que c’est Dieu en personne qui la leur aurait attribuée.

Passons directement au déluge, comme l’avocat de la pièce de Racine, « les plaideurs » pour moquer la lenteur de la justice. Après bien des péripéties, chaque religion monothéiste a conservé des traces tangibles de son implantation dans ces lieux saints, notamment à Jérusalem, et revendique l’exclusivité sur ces terres au nom d’un passé qui se perd dans la nuit des temps. Chaque partie en présence choisit la date de son évènement fondateur en fonction de ce qu’elle croit être son intérêt. Le résultat le plus probant de ce gâchis est un conflit qui dure depuis des décennies, dont les populations font les frais. Ce qui me frappe dans l’engrenage des évènements les plus récents, c’est l’apparente insensibilité vis-à-vis des victimes de l’autre camp, tandis que chacun se désole du sort réservé à ses compatriotes. C’est pourquoi j’éprouve l’impression d’un certain cynisme, non pas au sens de l’école philosophique ancienne, mais dans une acception du langage courant, expression de l’indifférence aux souffrances humaines de ceux qui sont considérés uniquement comme des ennemis.

Le Hamas a mené des attaques terroristes contre les Israéliens, en sachant parfaitement que ceux-ci exerceraient des représailles, et en semblant même les souhaiter pour durcir le conflit et se servir des images de guerre totale pour discréditer leur adversaire et redorer leur blason dans l’opinion internationale. Sans demander aux Israéliens de « tendre l’autre joue », leur refus de toute trêve humanitaire et les obstacles mis au transit des marchandises vitales pour la population de la bande de Gaza, contribuent à ternir leur statut de victimes, malgré une mise en scène à l’ONU pour rappeler leur sacrifice au moment de la Shoah. Personne ne joue franc-jeu, et la conséquence la plus visible, c’est qu’Israël va nécessairement gagner cette guerre sur le terrain en raison de sa supériorité militaire évidente, mais au prix d’un anéantissement des Palestiniens en général sous les tapis de bombes tandis que les rescapés mourront de faim, ou de soif, dans des hôpitaux privés de toute aide humanitaire. Personne ne sortira vainqueur moralement de cet affrontement, et surtout pas l’infime chance de paix une nouvelle fois remise aux calendes.