De l’artisan à l’artiste…
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le dimanche 8 octobre 2023 10:20
- Écrit par L'invitée du dimanche
Il y a un moment, où après s’être laissé enchanter, surprendre par le spectacle des tapisseries, vient l’envie de savoir comment de tels chefs-d’œuvre sont arrivés jusqu’à nous.
Depuis le XVe siècle, où un procédé de tissage lancé par des artisans d’Aubusson utilisant la laine de mouton produite sur place, en passant par Henri IV qui organise à Paris des manufactures de tapisserie, regroupées par Colbert en 1670 aux Gobelins, la technique ancestrale est restée la même.
Au départ, il y a l’œuvre d’un artiste, confiée à un « peintre cartonnier » qui exécute le carton, support de travail des « lissiers ». Le créateur peut lui-même concevoir son carton, sinon le cartonnier adapte aux dimensions de la future tapisserie l’œuvre de l’artiste, inversée de gauche à droite, car le tissage se fera sur l’envers.
Le modèle n’a pas forcément été conçu pour être tissé, le carton peut se faire à partir d’une peinture, d’un dessin, d’une gravure, c’est ainsi que seront réalisées des tapisseries à partir des illustrations de Tolkien par exemple, ou des tableaux de Picasso, Braque, Le Corbusier, et actuellement à partir de films d’animation du japonais Miyazaki de renommée mondiale !
En 1947, il est créé une association des peintres cartonniers de tapisserie, Jean Cocteau et Joseph Bouret réaliseront le carton de la tapisserie « Judith et Holopherne ».
L’exécution de la tapisserie peut se faire en haute lisse, sur un métier vertical, ou en basse lisse, métier horizontal, on entrecroise régulièrement les fils de chaîne tendue et les fils de trame colorés, ou en lissier savonnerie, les fils de trame sont noués autour des fils de chaîne pour former du velours.
Le carton glissé sous les fils de chaîne du métier à tisser guide l’artisan tout au long du tissage. L’aller-retour de la « flûte » ou de la « broche » crée le motif en même temps que le tissu. C’est une réécriture particulière qui donne des indications de tissage aux « lissiers ». On traduit en laine les dessins, les volumes, les dégradés, chaque réalisation crée une œuvre originale.
La collaboration doit être complète entre l’artiste créateur, le cartonnier et le lissier, le cartonnier doit penser laine, son carton est conçu dans ce but exclusivement. Les laines sont choisies parmi de nombreux écheveaux, puis filées au rouet, et embobinées sur les « flûtes » ou les broches. Il faudra six mois pour une tapisserie de 10 m sur 4 pour 10 000 €.
La formation de lissier* se fait à cinq niveaux, du CAP au brevet des métiers d’art (BMA) suivis de spécialisation et de nombreux stages. Pour réaliser une œuvre de A à Z, du contact à la tombée du métier, il ne faut pas moins de 10 années de formation ! Les lissiers revendiquent à juste titre l’appellation d’artistes textiles, puisqu’ils sont en finale les interprètes du créateur d’une œuvre d’art réellement collective !
À partir de 1937, la rencontre de Lurçat (qui deviendra le maître des peintres cartonniers et inventera la technique du carton numéroté, chaque numéro correspond à une couleur) et du nouveau directeur de l’école nationale d’art décoratif d’Aubusson (créé en 1884) va redonner un élan à l’art de la tapisserie. Suivra toute une génération de peintres cartonniers, Picard Ledoux, Dom Robert, Matisse, qui auront de nombreux adeptes recherchant dans la tapisserie un nouveau mode d’expression.
L’invitée du dimanche
*La ville d’Angers où l’on peut admirer les magnifiques tapisseries de jean Lurçat « le chant du monde » a créé son diplôme municipal de lissier en deux ans.