Beso gate

On a pris l’habitude de désigner un scandale, et particulièrement un scandale d’état, en accolant le suffixe « gate », comme dans l’immeuble espionné par le parti républicain, le Watergate, à un mot résumant l’affaire. C’est pourquoi je prends la liberté d’évoquer de cette manière le fameux baiser, beso en espagnol, infligé sans son consentement à une joueuse de l’équipe féminine de football, qui venait de remporter la finale de la coupe du monde en Australie, aux dépens de l’Angleterre. Plus encore que le fait en lui-même, c’est l’attitude possessive et dominatrice du président de la Fédération, Luis Rubiales, qui a choqué.

La joueuse, après avoir tenté de minimiser le geste, pour le moins inapproprié, a été obligée de préciser qu’elle n’y avait pris aucun plaisir ni bonne grâce, et, sans vouloir toutefois monter l’histoire en épingle, a demandé des mesures exemplaires à l’encontre du président Rubiales. Celui-ci a finalement présenté des excuses tardives et peu convaincantes. À tel point que Pedro Sanchez, le Premier ministre en exercice a dénoncé non seulement « un geste inacceptable », mais aussi des excuses insuffisantes. En clair, Luis Rubiales devrait démissionner. C’est ce qu’on attend de lui aujourd’hui au cours de l’Assemblée générale extraordinaire de la Fédération espagnole de football. Même s’il se prête à l’exercice, et l’on ne voit pas bien comment il pourrait s’y soustraire, ce ne sera sans doute pas suffisant pour désamorcer un conflit latent dans un contexte de machisme récurrent. Il ne s’agit pas seulement d’un baiser volé, comme ceux chantés par Charles Trenet, et repris par François Truffaut comme titre d’un de ses films. Un baiser presque innocent d’adolescent, quand la bouche « dérape » plus ou moins exprès, ou bien, dans la bouche de Pierre Perret, un exercice de style vantant le baiser de Zézette, le plus sucré, le plus salé, le plus chouette…

Ce baiser forcé, c’est devenu le symbole de la domination masculine, dans le sport comme ailleurs, assortie d’une bonne conscience des mâles concernés. Car si l’équipe a mérité sa coupe du monde, on ne peut pas en dire autant de ses dirigeants, qui n’ont tenu aucun compte des doléances des joueuses en conflit ouvert avec leur entraîneur. Dans une situation assez semblable, les joueuses de l’équipe de France ont obtenu le départ de l’ancienne sélectionneuse. Malheureusement, la chance ne leur a pas souri, puisqu’elles ont été éliminées aux tirs au but, sans avoir perdu le moindre match sur le terrain, contrairement aux futures championnes, sévèrement battues 4 à 0 en poules par le Japon. Comme quoi la glorieuse incertitude du sport ne récompense pas forcément les dirigeants qui le mériteraient le plus. Bien qu’après l’’affaire Noël Le Graët, on ne puisse plus donner de leçons à qui que ce soit.