Naufrages

Il y avait encore un mince espoir de retrouver les cinq occupants du sous-marin de poche Titan jusqu’à ce que la nouvelle tombe hier soir. Les gardes-côtes avaient retrouvé des débris ne laissant pas de place au doute, prouvant que le submersible avait implosé à proximité de l’épave du Titanic qu’il se proposait d’explorer une nouvelle fois. Bien entendu, les premières pensées vont aux familles et aux amis des victimes, mais les questions et les interrogations se sont exprimées dès la nouvelle connue, et même avant. Le sous-marin ne présentait pas toutes les garanties de fiabilité souhaitables et notamment son hublot dont la certification semblait insuffisante.

En premier lieu, il est permis de se demander s’il est bien nécessaire d’engager des moyens très conséquents pour organiser une nouvelle visite de l’épave du Titanic, déjà assez largement documentée par des expéditions précédentes. L’intérêt historique mis en avant par la société organisatrice est donc à relativiser. Fallait-il risquer la vie de ces cinq personnes, parmi lesquelles un scientifique français de renom, pour glaner quelques indications complémentaires, ou pire encore, pour envisager une exploitation touristique et commerciale d’un site et d’une légende du 20e siècle qui a frappé l’imaginaire collectif. L’expédition, déjà coûteuse au départ, aura nécessité la mise en œuvre de moyens énormes, se chiffrant par millions de dollars, pour tenter de sauver les occupants du Titan. On ne peut pas s’empêcher de faire le rapprochement avec un autre naufrage, qui s’est produit il y a une semaine, au cours duquel un bateau transportant jusqu’à 750 migrants a coulé au large de la Grèce dans des circonstances assez floues. Un naufrage qui fait suite à tant d’autres, qu’il en est devenu banal.

Autant le feuilleton du Titan, avec un suspense naturel entretenu par l’échéance inexorable de la fin des réserves d’oxygène, digne d’une série de Netflix, ce qu’il finira peut-être par devenir, aura tenu l’opinion en haleine, autant le sort de milliers de candidats au paradis douteux occidental a fini par lasser en épuisant les ressources de compassion devant des drames devenus trop ordinaires. Les états concernés par le naufrage du Titan n’ont pas hésité une seule seconde pour engager des moyens humains et financiers considérables pour tenter de sauver les 5 occupants du sous-marin, et c’est tout à leur honneur. Les mêmes états, ou d’autres, traînent des pieds pour essayer de trouver des solutions humaines pour accueillir dignement les personnes qui fuient la guerre, la répression politique, ou simplement la misère économique, en prenant des risques insensés pour traverser qui, la Méditerranée, qui, la Manche, sans que cela émeuve plus que ça. Chacun se retranche dans son pré carré, se rendant coupable de non-assistance à personnes en danger. C’est le naufrage de la solidarité des démocraties auquel nous assistons.