Mélange des genres

Selon la tradition, la première séance de la session de l’Assemblée nationale tout juste élue a été ouverte par le doyen d’âge des députés. En l’occurrence, il s’agissait de José Gonzales, 79 ans, du Rassemblement national, qui a choisi d’axer sa déclaration sur son histoire personnelle, et notamment sur le drame individuel qu’il a vécu en devant quitter son Algérie natale en 1962 à la suite des accords d’Évian. Ces souvenirs, visiblement émouvants, l’ont obligé à s’interrompre, ce qui lui a valu des applaudissements de la part de l’Assemblée.

Il serait toutefois excessif de croire que les députés, mis à part ceux du Rassemblement national, ont voulu cautionner ainsi la position politique de l’Algérie française. José Gonzales a été interviewé après la séance et il entretient pourtant cette ambiguïté en feignant d’ignorer si l’OAS (organisation armée secrète) avait ou non commis des crimes, pendant cette période. Il est très facile d’obtenir le renseignement. L’OAS a tué au moins 2200 personnes en Algérie et 71 en France, au moyen d’attentats terroristes. Ne pas vouloir le reconnaître, c’est vouloir réécrire l’histoire, cela s’apparente au négationnisme et au révisionnisme sur le massacre des Juifs par les nazis. Des politiques, tels que Thierry Mariani, essaient de banaliser le débat en renvoyant dos à dos OAS et FLN (Front de libération nationale), qui auraient commis tous deux des crimes pour défendre leur cause. Sauf que la situation n’est pas du tout symétrique. Thierry Mariani ne traiterait pas les résistants français de la 2e guerre mondiale de terroristes, mais bien de défenseurs d’une juste cause. En Algérie, la France était la puissance coloniale qui tentait de retarder une échéance inéluctable, tandis que les Algériens se battaient pour obtenir leur indépendance.

Bien sûr, on peut comprendre le déchirement qu’a représenté la nécessité de revenir en France métropolitaine pour ceux que l’on appelait « les rapatriés ». La plupart n’étaient pas des gros colons ayant fait fortune sur le dos des autochtones, mais de petits fonctionnaires ou des commerçants. Au-delà de leur histoire individuelle, c’est le sens de l’Histoire qui s’est joué, et nous, Français, n’étions pas du bon côté. À l’époque, la France a fait la seule chose sensée possible en faisant une place aux rapatriés, parfois de mauvaise grâce, à cause de passe-droits supposés, exacerbant les jalousies entre pieds noirs et métropolitains. Le rassemblement national, qui a succédé au Front national, a embrassé la cause de l’Algérie française dès sa formation. Il a aussi recueilli l’héritage du pétainisme et de la collaboration. À travers ces déclarations du doyen de l’Assemblée, on peut retrouver cette filiation, qui réduit à néant les efforts de dédiabolisation accumulés depuis que Marine Le Pen a pris la tête du parti, et lui a permis de faire un score historique aux dernières élections.