Moyen-âge

L’autre jour, j’entendais à la radio qu’une femme avait été condamnée pour avoir refusé des relations sexuelles avec son mari. Un peu distrait, j’avais manqué les détails de l’affaire, et je supposais qu’il s’agissait d’un pays étranger, probablement soumis à des règles de droit abandonnées depuis bien longtemps chez nous. Après tout, la question la plus sensible en France semble plutôt celle du viol conjugal que celle du manquement à ce fameux devoir conjugal, toujours cité, bien que sans existence légale. Eh bien, j’avais tort. La femme de 66 ans qui a vu prononcer un divorce à ses torts exclusifs a comparu en 2019 devant la cour d’appel de Versailles.

Elle vient de déposer un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme et espère bien que la France sera condamnée, après l’échec de son pourvoi en cassation en septembre dernier. Alors que la loi ne mentionne pas explicitement la notion de devoir conjugal, les juges peuvent interpréter dans ce sens notamment l’article 215 du code civil qui stipule que les époux s’obligent à une communauté de vie, cependant que l’article 212 exige des époux respect et fidélité. Bien que l’inverse existe, c’est généralement le refus de l’épouse qui est sanctionné, et la jurisprudence indique qu’il s’agit d’une survivance moyenâgeuse de l’emprise de l’homme sur la femme, considérée comme un bien lui appartenant. Je ne résiste pas à l’envie de vous conter une petite histoire, celle du seigneur partant aux croisades après avoir confié à son fidèle écuyer la clé de la ceinture de chasteté dont il avait doté son épouse, afin de la libérer si par malheur il périssait dans les combats. À peine avait-il gagné le village voisin qu’il entendait le galop d’un cheval lancé à vive allure cependant que l’écuyer tout essoufflé lui criait : « Messire, Messire, ceci n’est point la bonne clé ! »

Comme on le voit, le droit et l’usage sont deux choses distinctes, le second précédant largement le premier. Les mariages sont rarement aussi durables que par le passé, et sont suivis d’une séparation dans un cas sur deux. Les unions entre personnes du même sexe sont désormais admises, sans donner plus de garanties sur leur pérennité. Le divorce par consentement mutuel s’est généralisé et largement simplifié, mais les modalités de séparation et la répartition des responsabilités dans le cas d’un divorce pour faute démontrent clairement la survivance d’un droit patriarcal que l’on pourrait espérer être d’un autre âge. Il reste toujours une possibilité, celle de suivre le conseil que Boris Vian prodiguait dès 1957 quand il écrivait « Ne vous mariez pas les filles », en dressant un tableau peu ragoûtant de la vie conjugale qui les attendait alors et qui n’a pas entièrement disparu depuis.