L’opium du peuple

Je fais partie d’une génération qui a été nourrie au lait de cette formule de Marx, selon laquelle la religion serait l’opium du peuple, dans une France traversée par le clivage entre catholiques et non-religieux. Cette rivalité a trouvé son exaspération dans la guerre scolaire, opposant l’enseignement privé catholique et l’école publique se réclamant de la laïcité. Si la tension est un peu retombée sur le front scolaire, « l’école du diable » ayant finalement conquis de haute lutte ses lettres de noblesse, la question des signes religieux a ravivé les conflits larvés, avec le développement de l’Islam.

Un tout récent sondage auprès des lycéens de plus de 15 ans a montré qu’il existerait une courte majorité de jeunes « favorables » au port de signes religieux ostensibles tels que kippa, croix, voile islamique, turban, etc. qui sont bannis depuis la loi de 2004. Je suppose qu’il faut l’entendre comme une liberté de manifester son appartenance religieuse et non l’encouragement à pratiquer un prosélytisme militant en faveur de telle ou telle religion. Car c’est précisément sur ce point que se fonde la législation actuelle, tout imparfaite qu’elle soit. Sur cette question, comme sur celles qui touchent au droit au blasphème, ou la simple critique d’une religion, l’opinion des lycéens est plus proche des hiérarchies religieuses que la société en général. Ils sont tout juste 49 % à soutenir la publication des caricatures par Charlie Hebdo par exemple, et à peine plus pour soutenir la démarche de Samuel Paty, qui a payé de sa vie la volonté d’instruire ses élèves sur tous les sujets, y compris la critique des religions.

Il est clair que c’est la progression de la religion musulmane en France qui a changé la donne. Elle a remplacé le judaïsme dans le rôle de bouc émissaire que lui a assigné le Rassemblement, ex-front national. Il faut cependant relativiser cet essor. Les musulmans seraient environ 5 millions en France, contre plus de 37 millions de catholiques, voire davantage si l’on inclut ceux qui se reconnaissent plus ou moins dans cette croyance. En revanche, la pratique religieuse est proportionnellement plus forte dans l’Islam que dans la chrétienté, et les piliers de la foi sont observés plus strictement. Il existe un double phénomène, dont le sondage rend compte, indirectement. Le pourcentage de non-croyants (31 %) tend à rejoindre celui des croyants (37 %) malgré une redistribution entre les religions en faveur des musulmans. La France demeure une exception en ne privilégiant aucune croyance, et les jeunes, plus encore que les adultes, sont influencés par la culture américaine, où la religion, quelle qu’elle soit, est considérée comme indispensable. Nous retrouvons un peu de cette idéologie dans le front commun établi par les religions monothéistes dans notre pays, où les familles d’origine turque ou maghrébine privilégient souvent les écoles catholiques pour scolariser leurs enfants.