La quille, bordel !

Le jour tant attendu de l’assouplissement progressif des mesures de confinement, pour reprendre la terminologie officielle, est enfin arrivé, et même s’il n’est pas question d’abandonner toute précaution et de reprendre ses activités là où on les avait laissées pour les poursuivre de la même façon, cela fait une différence toute psychologique de savoir que l’on a recouvré une bonne partie de sa liberté. Qu’on l’utilise ou non, qu’on puisse faire ce dont on a envie ou pas, le moral ne peut qu’en être meilleur.

Cet enfermement supposé « volontaire », en pratique subi par les intéressés, fait penser au régime révolu du fameux service militaire, rebaptisé service national, mais tout aussi contraignant, supprimé, ou plutôt suspendu en 1997, à l’initiative de Jacques Chirac. Les conscrits, qui subissaient cette obligation sans enthousiasme à quelques exceptions près, comptaient à rebours les jours restants à effectuer à partir du « père cent », soit 100 jours avant la délivrance. J’ai souvenir d’une époque où je prenais fréquemment le train pour rentrer chez moi en week-end et où les wagons étaient remplis de bidasses avinés qui fêtaient « la quille », le dernier bâton, synonyme de retour à la vie civile, en beuglant « zéro, zéro, zéro ! » sur l’air de « ce n’est qu’un au revoir », si tant est que l’on pût reconnaître une trace mélodieuse dans le bordel ambiant. Ajoutez à cela les permissionnaires, qui voyageaient gratis, et compensaient leurs retards de sommeil en monopolisant les banquettes pour réussir à dormir malgré le tohu-bohu, et vous comprendrez que vouloir travailler pendant le trajet relevait du mythe plus que d’une réalité.

Le confinement n’aura duré « que » 55 jours, loin des cent jours des libérables, mais cela aura paru très long. La première chose concrète que je compte récupérer, c’est la latitude de prendre l’air où bon me semble, au-delà du kilomètre autorisé dont on a vite fait le tour. Changement de veau réjouit l’herbage, ai-je coutume de dire. J’ai été frappé de voir que la promenade familiale a été largement pratiquée pendant le confinement, comme si les Français avaient mis un point d’honneur à utiliser une des rares activités tolérées par les autorités. Je suis toujours étonné de savoir que 16 millions de mes concitoyens pratiquent la randonnée pédestre, au moins de façon occasionnelle, alors que la plupart du temps je n’en croise aucun sur nos itinéraires, à l’exception notable de quelques lieux touristiques, et encore, surtout le dimanche. Ce serait une conséquence inattendue et bénéfique que les Français redécouvrent les bienfaits d’une activité physique douce et le plaisir d’une convivialité retrouvée autour d’une manière agréable de redécouvrir son environnement. Dans un rayon de 100 kilomètres, il y a largement de quoi faire, sans pour autant se bousculer ou s’agglutiner les uns aux autres.