La positive hébétitude
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le jeudi 23 mai 2019 10:20
- Écrit par Claude Séné
Hier au soir, je regardais tranquillement Quotidien, cette émission qui mêle information et divertissement. Une des invitées était Virginie Efira, pour son rôle dans un film présenté à Cannes, et Yann Barthès lui lit un extrait de la critique élogieuse parue dans les Inrockuptibles du 22 mai 2019 sous la signature de Thierry Jousse : « Virginie Efira, brillante dans “Victoria”, tient ici le rôle de sa vie. Elle n’est pas seulement Sibyl, le personnage principal, elle EST Sibyl, le film, son point de départ et son point d’arrivée, son alpha et son oméga ». Virginie Efira, flattée, mais gênée, fait mine de quitter le plateau.
Jusque-là, tout va bien. Presque trop. Limite copinage. Mais Virginie Efira assume et assure, sans en faire trop. Ce n’est pas Lucchini ou Depardieu. Je la trouve plutôt à l’aise, sympa, simple et naturelle. L’interview se poursuit sans incident notable, jusqu’au moment où Barthès cite un autre passage du papier des Inrocks, tandis qu’à l’écran s’affiche le texte, ce qui exclut toute forme d’erreur dans la transcription. Attention ! c’est là que ça va piquer un peu : « Virginie Efira est comme Gena Rowlands, à l’aise dans tous les registres. De l’hébétitude à l’ivresse, de l’intello à la fille paumée, du rire aux larmes ». « Comment on joue l’hébétitude ? » questionne Yann Barthès. « Apprenez-moi à jouer l’hébétitude. »
Et Virginie Efira de citer Ardisson qui demandait aux jeunes actrices de jouer des émotions à brûle-pourpoint : « OK t’es fâchée, ou bien l’hébétitude… » et elle poursuit : « donc je ne vais pas jouer l’hébétitude, ni même l’ivresse… ». Là, elle sort les avirons et tente laborieusement de bâtir une phrase qui pourrait éventuellement avoir un sens, quel qu’il soit. En vain, devant un Barthès impassible qui ne montre à aucun moment qu’il a remarqué le néologisme et finira par enchaîner sur la séquence suivante.
Pourquoi est-ce que je vous raconte ça ? Après tout, « y’a pas mort d’homme » comme disait Jean-Pierre Darroussin dans « mes meilleurs copains ». L’erreur initiale a été commise par un journaliste, qui ne prétend pas au prix Goncourt, et encore moins au dictionnaire de l’Académie française. Forger un mot inventé quand il en existe déjà un n’est pas un exercice totalement inédit. Souvenons-nous de la « bravitude » de Ségolène Royal sur la grande muraille de Chine. Cette « hébétitude » en lieu et place d’hébétude est surtout révélatrice de la force de l’institution. Ni Yann Barthès, ni Virginie Efira n’ont remis en question le mot, sans doute parce qu’il était imprimé. Moi-même, je me suis assuré qu’il n’existait dans aucun dictionnaire, avant de vous en faire profiter. Tout juste peut-on suggérer à Thierry Jousse d’investir dans un correcteur orthographique digne de ce nom.
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