Pauvreté n’est pas vice

La sagesse populaire devrait parfois être une source d’inspiration pour ceux qui ont la charge de diriger leurs concitoyens. Le plan pauvreté annoncé par Emmanuel Macron, au-delà du détail des mesures, souffre d’une faiblesse de conception idéologique, de nature à annihiler tous les aspects apparemment généreux dont il voudrait être porteur. La finalité profonde de ce plan est de s’adresser à ceux qui souffrent de la précarité et de ressources insuffisantes en les incitant à retrousser leurs manches et à travailler, sans jamais remettre en question le moins du monde l’organisation économique de la société.

La philosophie sous-jacente de cette conception, illustrée par la fameuse métaphore de la cordée, c’est qu’il ne tient qu’à chacun de devenir premier de cordée, quitte à écraser si nécessaire tous ceux qui aspirent à cette même place. Dans cette cordée, chaque individu a sa place, déterminée par la hiérarchie sociale, et ne peut guère espérer la quitter pour monter en grade. C’est sur cet immobilisme social qu’est bâtie la pyramide hiérarchique au sommet de laquelle trône un souverain jupitérien. Pour justifier cet état de fait, il est nécessaire d’invoquer la notion de mérite. Si le Président est président, c’est qu’il est supposé être le plus compétent, reconnu à ce titre par le suffrage universel. Peu importe que quelques mois ou quelques années plus tard, on le juge sévèrement. La fonction a créé l’organe. À l’inverse, le pauvre est pauvre, parce qu’il le vaut bien. Sinon, ce serait trop cruel et pour tout dire insupportable. Qui tolèrerait que son prochain ou son voisin vive dans des conditions indignes si l’on ne sous-entendait pas que c’est un peu de sa faute ?

Au centre du dispositif, se trouve bien entendu la valeur travail. Il suffirait de distribuer du travail et tous les problèmes s’évanouiraient, comme par enchantement. Encore faudrait-il créer suffisamment d’emplois pour que chacun ait une chance de postuler, et donner aux sans-emploi une formation leur permettant d’y accéder. Mais admettons. Comment se satisfaire d’une organisation du travail qui entérine, volontairement ou non, des inégalités et des disparités aussi manifestes ? À postes et qualifications égales, les femmes continuent à être sous-payées, sans compter que leurs carrières sont souvent amputées. D’autre part, plus le travail est abrutissant, pénible, répétitif et sans intérêt, moins il est payé. On constate encore des écarts de rémunération de 1 à 264 dans certaines entreprises. Je doute que la distribution d’un petit déjeuner dans les écoles de quartiers défavorisés change radicalement la donne pour accorder à tous des chances égales d’accéder à un épanouissement personnel. Mais je suis peut-être trop pessimiste.