La misère du monde

Oyez, braves gens ! J’ai un scoop. Emmanuel Macron est de gauche. Si ! Comme Nicolas Sarkozy. Vous vous souvenez certainement que le candidat Sarkozy avait appelé Jean Jaurès à la rescousse à Toulouse pendant la campagne présidentielle de 2007. Après l’avoir cité à plusieurs reprises, en choisissant avec soin les passages qu’il pouvait récupérer, il se prétendait l’héritier du symbole même de la gauche, et annexait dans la foulée la figure tutélaire de Léon Blum, pour faire bonne mesure. Il y en a un peu plus, je vous mets tout ?

Donc, Macron s’approprie Michel Rocard, qui n’est plus là pour se défendre. Il justifie le malthusianisme en matière d’immigration en citant la phrase de Rocard, alors Premier ministre, quand il déclarait, comme un aveu d’échec, que la France ne pouvait pas accueillir « toute la misère du monde ». C’était, à l’époque, et encore aujourd’hui, une figure de style, véritable insulte à la dignité humaine, prétexte à justifier l’injustifiable. Qui a demandé à la France de prendre en charge la totalité des injustices créées sur cette vaste terre ? Personne. On attend seulement d’une nation, 6e puissance économique mondiale, héritière de valeurs humanistes, mère des arts, des armes et des lois, terre d’asile à la réputation universellement connue, tienne son rang et fasse honneur à sa tradition ancestrale. Ne pas accueillir la totalité de la misère ne signifie pas n’en accueillir aucune. Michel Rocard lui-même, conscient de la récupération de ses propos par ses opposants, avait tenu à préciser par la suite que la France devait assumer sa part.

On est loin du compte. Bien sûr, Macron s’indigne de la situation en Libye où un véritable marché aux esclaves est organisé au vu et au su des instances internationales. Il se garde bien de rappeler que ce sont les pays européens, et notamment son gouvernement, qui ont permis ou favorisé ce trafic honteux en demandant aux pays frontaliers des zones d’immigration de garder les réfugiés sur leur territoire. Emmanuel Macron se permet même de faire la leçon aux pays membres de l’Union européenne en indiquant que la France se proposait d’accueillir 10 000 réfugiés d’ici à 2019. 10 000 ! Quand l’Allemagne en a accepté plus d’un million, pour des raisons certes intéressées, mais quand même. Et non seulement la France s’efforce de réduire le nombre des entrants par tous les moyens, mais ceux qu’elle laisse passer sont reçus dans des conditions qui semblent être volontairement dissuasives et que dénoncent les associations qui font de leur mieux pour pallier les carences des pouvoirs publics. Quand un être humain se noie en Méditerranée, on ne lui demande pas de justifier de ses motivations à risquer sa vie, Monsieur Macron. On le repêche.