Le peuple souverain

C’est au nom du peuple que les indépendantistes catalans ont proclamé leur République, et c’est au nom de ce même peuple que le gouvernement central de Madrid a décidé de reprendre les rênes du pouvoir régional. Ce sont deux légitimités qui s’affrontent, et qui ont décidé de convoquer le suffrage populaire pour trancher leur différend. Le problème, c’est que chacune des deux parties en présence entend consulter le peuple selon ses propres critères. Carles Puigdemont, le président régional, s’est refusé à organiser des élections régionales anticipées, faute d’un accord sur les conditions de déroulement du scrutin.

Il s’appuie sur le résultat du référendum qui a donné une nette majorité de oui à l’indépendance, mais qui a pâti d’une forte abstention et d’irrégularités rendant impossible la vérification des bulletins. Le parlement régional qu’il préside est favorable à l’indépendance en termes de sièges, mais sa coalition n’a recueilli que 48 % des suffrages. En l’état actuel des choses, personne ne peut dire avec certitude quel est l’état de l’opinion sur ce sujet. Globalement, on peut être assuré que les deux camps sont d’importance à peu près égale, et qu’aucune décision ne réunira une large majorité. Que ce soit l’indépendance ou le maintien dans l’Espagne, près de la moitié des Catalans sera déçue et l’autre satisfaite. Le pouvoir central a cependant décidé de procéder à de nouvelles élections régionales le 21 décembre prochain, pour trancher le débat, qui n’a jamais vraiment eu lieu.

Le verdict des urnes tombera donc, et Madrid espère qu’il lui sera favorable et qu’une majorité se dégagera pour maintenir la Catalogne dans le giron national. Et si ce n’est pas le cas ? faudra-t-il faire voter et revoter le peuple souverain jusqu’à ce qu’il se décide à donner satisfaction au pouvoir central ? Cette situation me rappelle fâcheusement les référendums de 2005 sur la constitution européenne, rejetés par la France et les Pays-Bas, puis appliqués contre la volonté des peuples grâce au traité de Lisbonne, lui-même rejeté par les Irlandais, mais finalement adopté aux forceps. Le récent exemple du Brexit est une illustration du risque encouru à consulter le peuple sans lui donner les informations sincères sur les conséquences de son vote. Les Catalans, comme les Britanniques à l’époque, sont persuadés que quitter l’ensemble dont ils font partie ne sera qu’une simple formalité. On voit à présent les implications de cette décision sur le Royaume-Uni, que les plus farouches partisans du non à l’Union européenne ont feint d’ignorer, persuadés de perdre ce référendum. La devise de l’Empire romain, SPQR, Senatus Populusque Romanus, symbolisait l’union du Sénat, l’assemblée des sages, et du peuple. Un exemple dont pourraient s’inspirer les Espagnols.