Photos volées

Jusqu'à présent, les photos circulant sur internet sans l'accord de ceux qu'elles représentent étaient des clichés pris par des paparazzi à l'insu des intéressés. La règle du jeu était relativement simple : les « people » faisaient valoir leur droit à l'image, ce qui revenait à le monnayer, moyennant quoi le monde continuait à tourner, et le papier ou le numérique à se vendre.

Puis on a commencé à voir apparaître des photos ou des vidéos prises par les personnes elles-mêmes, dévoilant parfois très largement leur intimité et leur anatomie, pour accroître leur notoriété ou arrondir les fins de mois. Dans certains cas, les documents  en question permettaient la vengeance après une séparation subie.

Mais le détournement massif de clichés de personnalités qui vient de se produire répond à une autre logique et doit nous faire réfléchir à la protection de la vie privée sous un jour nouveau. Ces photos proviennent de collections privées de souvenirs que les personnes piratées avaient stockées dans ce qu'il est convenu d'appeler le Cloud, le nuage, et qui correspond en réalité à des serveurs gigantesques, appartenant à des sociétés bien connues supposées en assurer la sécurité. Une nouvelle occasion de constater que le risque zéro n'existe pas, puisqu'une faille a permis à des pirates opiniâtres de s'infiltrer dans le système et de détourner des photos de stars dans le plus simple appareil.

Le procédé est évidemment hautement condamnable, mais il prouve que tout peut être un jour mis sur la place publique et que la seule protection efficace contre ce genre de risque est de ne pas prendre ou conserver de telles photos. Le monde de Big Brother qu'avait imaginé Georges Orwell pour 1984 ne s'est pas produit sous sa forme dictatoriale et inquisitoriale, mais sous des apparences démocratiques, la sphère personnelle peut être étalée du jour au lendemain sur la place publique, sans que rien ni personne ne puisse l'empêcher. Pire encore, cette absence d'intimité est revendiquée par nombre d'anonymes qui font tout pour obtenir leur quart d'heure de célébrité cher à Andy Warhol, en passant à la télé. Et pourtant, la sagesse des nations nous avait bien mis en garde, en déclarant : « pour vivre heureux, vivons cachés ». Une règle de vie bien difficile à appliquer en ces temps de transparence obligatoire.