Le syndrome chinois

À l’origine de l’expression se trouve un concept largement imaginaire selon lequel un accident nucléaire majeur en Amérique du Nord pourrait provoquer une catastrophe aux antipodes dans le continent asiatique. Si cette hypothèse est démentie par les scientifiques, ce qui s’est passé dimanche soir dans le 19e arrondissement de Paris pourrait donner lieu à une crise diplomatique entre la Chine et la France en cristallisant un sentiment larvé de racisme à l’égard de la communauté chinoise installée dans le chinatown parisien. Recevoir des leçons de démocratie d’un régime tel que celui de Pékin est particulièrement humiliant.

Pourtant, les circonstances dans lesquelles a été tué Shaoyo Liu sont plutôt troublantes. Comme bien souvent en pareil cas, les versions de la famille et des policiers divergent radicalement. Pour ces derniers, le coup mortel a été tiré en état de légitime défense, tandis que les enfants de la victime dénoncent une bavure. L’enquête devra déterminer les responsabilités et le déroulement des faits ayant entraîné la mort, mais quelques éléments attirent l’attention. Les policiers de la Brigade anti criminalité étaient en civil et auraient été appelés par un voisin de la victime se plaignant de bruit dans l’appartement. Une unité d’élite telle que la BAC n’a-t-elle pas de mission plus importante que de régler des problèmes de voisinage ? L’homme aurait tenté de poignarder un policier avec une paire de ciseaux quand ils ont fait irruption dans l’appartement après avoir enfoncé la porte. S’agissait-il d’un réflexe d’autodéfense sous le coup de la surprise, alors qu’il écaillait un poisson ? La riposte immédiate et mortelle ne permettra pas de lui donner une chance de répondre à cette question.

Pour la communauté chinoise, la bavure ne fait aucun doute et leur conviction est renforcée par le sentiment d’exclusion dont elle se sent l’objet. La similitude avec l’affaire Théo accrédite l’idée d’une police raciste ne prenant pas de gants avec les ressortissants des « minorités visibles », dès lors que leur couleur de peau n’est pas conforme. Les manifestations qui ont suivi cette apparente bavure ont été réprimées très fermement, comprenez brutalement, ce qui ne devrait pas contribuer à calmer les esprits. Il faut souhaiter que l’enquête judiciaire se déroule avec impartialité de façon à éliminer tout soupçon de parti-pris et puisse faire la lumière sur les faits, tels qu’ils se sont déroulés. Je crains fort que l’enquête administrative de la police des polices n’aboutisse, comme souvent, à la conclusion que rien ne permet d’incriminer les policiers, faute de preuve que l’usage de la force aurait été disproportionnée. Car la revendication des syndicats de police de faciliter l’usage des armes en passant outre aux restrictions indispensables, telles que les sommations, sera en filigrane dans cette affaire.