La dentelle d’Ankara

Ne dites plus : travailler dans la dentelle de Calais ou du Puy. Les nouveaux experts en diplomatie sont turcs. Et en démocratie aussi. Voilà que pour protester contre les autorités néerlandaises qui leur mettent des bâtons dans les roues pour faire la propagande de leur merveilleux chef de l’état auprès de la diaspora turque, le président Erdogan a menacé de saisir la Cour européenne des droits de l’homme. Parce que Recep Tayyip Erdogan est un farouche partisan des droits de l’homme. En Europe, hein ! pas chez lui, naturellement.

Alors il ne reculera devant aucun anathème pour disqualifier les pays européens qui ne lui cirent pas les bottes en autorisant la tenue de meetings sur leur territoire en faveur d’un référendum qui doit lui permettre d’exercer ses pleins pouvoirs déjà acquis ad vitam aeternam. Avec cette position, Erdogan joue à pile ou face, mais avec ses propres règles : pile, je gagne, et face, tu perds. Si les gouvernements interdisent la tenue de ces réunions, il crie à la dictature et se pose en victime, dans le cas contraire, il profite tranquillement de cette tribune offerte pour assoir encore plus sa position dominante. Pour qualifier ceux qu’il voudrait rejoindre comme partenaire de l’Union européenne, le président turc utilise d’ailleurs un vocabulaire modéré : pour lui, ce sont simplement des fascistes et des nazis à la tête de républiques bananières. Pas de quoi fouetter un chat, donc.

Et c’est vrai que le président Erdogan a démontré depuis le putsch manqué qu’il était devenu un expert en droits de l’homme, je veux dire en restriction des libertés fondamentales, y compris la liberté d’opinion et de la presse, comme en témoigne le procès en cours de son homonyme, Asli Erdogan, une romancière accusée de terrorisme et de sympathie pour les indépendantistes kurdes. La diplomatie européenne et internationale a cru bon de remettre les clés du camion à la Turquie pour se débarrasser à bon compte de l’épineuse question des réfugiés syriens et autres victimes de Daech. Elle en paye aujourd’hui le prix. Erdogan menace de laisser partir vers les pays occidentaux les millions de déportés qui sont encore sur son sol si l’on n’en passe pas par ses exigences. Il s’est allié avec la Russie et l’Iran pour imposer une solution en Syrie qui préserve ses intérêts, essentiellement pour éviter la création d’un état kurde incluant ses propres ressortissants, au prix du maintien du dictateur, bourreau de son peuple, Bachar El-Assad. Et voilà qu’il pense pouvoir faire impunément la pluie et le beau temps sur le territoire de ses supposés alliés européens. Si ce n’est pas de la belle ouvrage, je ne m’y connais pas.