Politiquement correct

Le nouveau politiquement correct est arrivé. Et c’est de parler comme les « vrais gens », sans se préoccuper de dire des gros mots. C’est ainsi qu’une interview d’Alain Juppé refait surface, à l’occasion d’un reportage documentaire diffusé sur France 3. Le peut-être futur président, répondant à Frank Olivier Giesbert, explique qu’il emmerde ceux qui auraient peur de se faire chier avec lui. On connaissait le « parler-vrai » de Michel Rocard, place au « parler cru ». On en avait déjà eu un échantillon avec le « casse-toi, pauvre con » de Sarkozy, voilà que la pratique s’en généralise.

Si l’on n’était pas étonné de la vulgarité d’un rustre comme Sarkozy dont le vernis culturel est plus mince que la retraite des vieux, l’expression a davantage surpris de la part d’un Juppé nettement plus policé et dont le vocabulaire dépasse sûrement les 300 mots dont semble disposer l’ancien président. Je me suis demandé s’il avait été inspiré par la chanson de Bénabar, dont le refrain reprend la formule : « je suis peut-être, politiquement correct, mais moi j’t’emmerde ». Si c’est le cas, il existe une différence de taille, ce sont les valeurs défendues par le chanteur, qui se décrit lui-même comme antiraciste et droit-de-l’hommiste, assez éloigné donc du CAC 40 et du capitalisme à visage humain. En se lâchant de la sorte, Juppé essaie de gommer son image de technocrate froid, maitrisant ses émotions, à l’opposé de son mentor, Jacques Chirac, devenu « sympatoche » depuis son départ de la vie politique.

Sa sortie, pour inattendue qu’elle ait été, ne sonne cependant pas faux, car elle reflète au passage l’orgueil incommensurable du personnage, qui se porte visiblement la plus haute estime. On ne peut pas en dire autant de Bruno Le Maire, qui a cru bon d’émailler son interview chez un très jeune blogueur, de quelques « putain ! » bien sentis, mais dont la sincérité n’a pas semblé évidente, pas plus que le naturel. N’est pas charretier qui veut, cela demande une pratique assidue et de longue date, Nadine Morano le lui expliquera très bien. L’exercice a cependant ses limites. Comme souvent, l’exemple nous en vient des États-Unis. Donald Trump, qui a passé son temps à dénigrer ses adversaires, à insulter les femmes et les minorités, et a pu croire longtemps que ses excès mêmes lui attiraient les bonnes grâces des red necks, les beaufs du Midwest qui forment le gros des troupes républicaines, a été obligé de s’excuser pour des propos anciens d’une grossièreté et d’une misogynie rares. À méditer.