La raison du plus fort

C’est une affaire entendue, nous vivons en démocratie. Ce qui signifie que les décisions sont prises au nom d’une majorité, plus ou moins large, de citoyens à jour de leurs cotisations et que les autres, par définition moins nombreux, sont supposés accepter, de bonne grâce ou non. Sur le papier, ça se tient. Dans sa grande sagesse, le législateur a cependant prévu des exceptions qui confirment la règle. Par exemple, les modifications à la loi suprême, la constitution, doivent être approuvées par une majorité plus forte des trois cinquièmes du parlement réuni en congrès.

D’un point de vue pratique, les citoyens ne sont pas consultés directement, en général, mais leurs opinions sont supposées être reflétées par des représentants, élus au suffrage dit universel. Là où ça se complique, c’est que le corps intermédiaire ainsi constitué a une tendance naturelle à confondre sa fonction et l’organe, et à vivre de façon autonome, quitte à oublier éventuellement les administrés qui l’ont porté au poste qu’il occupe. Dans des circonstances exceptionnelles telles que nous les vivons depuis l’apparition du coronavirus et la crise sanitaire qui en a suivi, le gouvernement a demandé et obtenu une sorte de délégation sous forme de pleins pouvoirs, dont il est prêt à user et si nécessaire à abuser, au nom de l’intérêt général. C’est ainsi que la question se pose, au moment où les épidémiologistes s’accordent à reconnaître l’existence d’une cinquième vague dont l’épicentre serait en Europe, d’un éventuel reconfinement. L’Autriche a pris sa décision en demandant aux personnes non vaccinées de rester chez elles, sous peine d’amende. Cette mesure n’est pas envisagée en France pour l’instant, ce qui sous-entend que cela pourrait venir. Concrètement, une telle restriction aux libertés individuelles demanderait la mise en place d’un contrôle gigantesque et courrait le risque d’un rejet social massif, y compris des vaccinés.

Et l’on voit bien que c’est là où le bât blesserait vraiment. Pour l’instant, le taux de vaccination complète en France s’établit à environ 75 %. Sans surprise, une obligation vaccinale sous une forme déguisée de pass sanitaire généralisé serait actuellement majoritairement acceptée. S’il fallait que la société tout entière se prête à un contrôle tatillon, l’opinion pourrait se retourner contre ceux qui seraient jugés responsables de la situation. Ce qui serait désastreux pour le pouvoir actuel, à quelques mois d’une élection présidentielle, socle de toutes les batailles politiques. La règle majoritaire sous laquelle nous vivons depuis le fondement même de la cinquième république, accentuée par l’élection du président au suffrage universel et le renforcement de ses pouvoirs, a eu son intérêt pour constituer des blocs ayant vocation à gouverner ensemble. Elle a eu pour conséquence un mépris des minorités et une ostracisation des opinions non conformes à cette polarisation. Il est grand temps de se tourner vers une démocratie plus directe et plus respectueuse de tous.