L’avocat du diable

C’est donc un diable d’avocat qui a été désigné par le pouvoir en place pour garder les sceaux de la République, tandis qu’il faisait appel à une Sainte Rita moderne, patronne des causes désespérées, pour sauver la Culture, mise à mal par le Covid 19. Il y avait quelque chose de surréaliste à entendre le secrétaire de l’Élysée lâcher les noms d’Éric Dupont-Moretti et de Roselyne Bachelot au milieu du ronron sans surprise du chapelet de ministres chargés d’en finir avec ce quinquennat.

La presse ne s’y est pas trompée qui n’a retenu que ces deux nominations ou presque, commentant les autres désignations en quelques coups de cuillère à pot. Prendre un avocat au sein du gouvernement est probablement une excellente idée, surtout si celui-ci est réputé pour obtenir très fréquemment l’acquittement de ses clients. C’est une bonne façon de l’avoir sous la main. Celui qui a annoncé sa nomination, Alexis Kohler, est lui-même visé par une nouvelle enquête du Parquet national financier après avoir bénéficié d’un non-lieu pour prise illégale d’intérêt et d’une lettre de recommandation de son employeur, Emmanuel Macron. De même, Gérald Darmanin, fraîchement nommé ministre de l’Intérieur, est toujours sous la menace d’un procès à la suite d’une plainte pour viol, malgré un non-lieu en première instance. Et enfin, cerise sur le gâteau, la Cour de justice de la République est saisie d’une plainte visant la gestion de la crise sanitaire par trois ministres dans l’exercice de leurs fonctions : Édouard Philippe, Agnès Buzyn et Olivier Véran. La bonne nouvelle, c’est que l’avocat le plus célèbre de France est habitué à défendre ses clients sans nécessairement être convaincu de leur innocence. Il lui faut parfois batailler contre eux, plus encore que contre l’accusation, comme récemment avec Patrick Balkany. La mauvaise, c’est que faire appel à ses services est un indice infaillible de la gravité des accusations portées contre soi, et la présomption d’une culpabilité telle que seul Aquittator peut vous sauver.

Si le talent d’Éric Dupont-Moretti ne suffit pas, il restera toujours l’entregent de l’inoxydable Roselyne, qui pourra glisser quelques piques assassines contre l’opposition entre deux blagues grivoises. Son précédent patron aux grosses têtes, Laurent Ruquier, peut espérer être décoré Chevalier des Arts et des Lettres et son prédécesseur, Philippe Bouvard, obtenir le Prix Goncourt, à défaut du Nobel de littérature. Roselyne Bachelot parviendra-t-elle à détromper les Français qui croient que c’est toujours Jack Lang qui est ministre de la Culture ? Il n’est pas certain, malgré l’étendue de ses connaissances, qu’elle réussisse là où beaucoup d’autres se sont cassé les dents. Le nerf de la guerre risque de manquer à un moment ou à un autre, quand les priorités se bousculeront au portillon. Resteront les tenues dignes de la Reine d’Angleterre pour égayer les conseils des ministres.