Glissements de sens…

Et de société ! À cause d’une vieille chanson venue du fond de ma mémoire, chantée par Dario Moreno en 1959 : « je suis le vagabond, le marchand de bonheur… je donne à bon marché de quoi rire de tout », j’ai réalisé que le temps nous avait transportés dans un monde loin de ce romantisme naïf, où les vagabonds avaient « le ciel et la mer, le printemps et l’été pour chanter ».

Loin du temps où le vagabondage était souvent un choix de marginaux inoffensifs qui se rencontraient surtout dans les campagnes, subsistant de petits travaux, de légers larcins et de charité. Loin aussi des baladins 20 ans plus tard de Gilbert Bécaud, autant que de l’image poétique de la bohème de Rimbaud.

Aujourd’hui, officiellement depuis 1983, les vagabonds citoyens errants sans domicile, sans moyens de subsistance, sont catalogués Sans Domicile Fixe. Difficiles à recenser, justement car on ne peut les situer d’une façon stable, ils seraient au moins 140 000, dont plus de la moitié en Île-de-France. Finies les déambulations dans la campagne, mais bonjour les arrêtés municipaux interdisant leur entrée dans les villes, ça fait désordre pour les touristes.

Si certains d’entre eux le sont par choix, 6 % à peu près, les autres se sont retrouvés dans ce classement de l’INSEE par perte d’un lien social. Cette désocialisation a souvent pour origine des problèmes personnels familiaux, divorce, décès d’un proche, perte de son travail, entraînant perte de logement, perte de ses droits, c’est la descente aux enfers assurée dont nul n’est protégé. Certains ont quand même un emploi, mais très souvent précaire et peu rémunéré, ne permettant pas de retrouver un statut social ordinaire, on les range dans la catégorie des travailleurs pauvres. Ceux-là, souvent, cachent leur situation et font usage d’inventions et de stratagèmes pour garder une apparence physique qui ne les exclut pas du monde des normaux.

Heureusement, beaucoup d’associations « néo citoyennes » viennent à leur secours renforçant les aides publiques, pour restaurer leur dignité et leur estime de soi en leur donnant accès à l’hygiène, à la santé, et une aide alimentaire et l’hiver des foyers pour éviter le pire. Certaines de ces aides ne sont pas toujours appropriées, les centres d’hébergement manquent de sécurité, ou refusent leur chien, fidèle compagnon, rempart à la solitude. Alors il est impossible d’éviter un minimum de 400 décès par an signalé par le collectif des morts dans la rue (CMDR), la moyenne d’âge de survie étant de 40 à 50 ans, contre 75 ans dans le monde des nantis.

En un quart de siècle, les choix politiques et économiques, ont fait de quelques marginaux, une nouvelle classe sociale d’exclus que les perspectives prochaines ne permettent pas d’espérer la disparition et il y a là de quoi se demander ce qu’il en sera dans le prochain quart de siècle.

 L’invitée du dimanche

Commentaires  

#1 Claude 18-06-2017 10:38
Les aveugles y voient-ils mieux depuis que le politiquement correct les a rebaptisés mal voyants? Comme tu le dis, la société préfère changer l'appellation de ceux que l'on appelait autrefois clochards en ville et chemineaux à la campagne, que de résoudre les difficultés qui amènent à cet état de fait. Les futures lois sur le travail risquent d'accentuer le phénomène avec des emplois à l'anglaise, dits zéro heure, donc zéro revenu.
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