Vous avez dit plein emploi ?

Depuis le 1er janvier, France Travail a officiellement remplacé Pôle emploi, qui avait lui-même succédé à l’ANPE, l’agence nationale pour l’emploi, créée en 1967, et qui avait fusionné avec l’UNEDIC en 2008 pour constituer une nouvelle unité, chargée à la fois de l’indemnisation des chômeurs et du retour à l’emploi, dans la mesure du possible. C’est ce « possible » qui constitue la première escroquerie : un abus de langage permet d’appeler plein emploi une situation où le chômage ne dépasserait pas 5 % de la population en âge de travailler, et inscrits officiellement comme demandeurs d’emploi.

Bien que finalement assez modeste, cet objectif ne sera jamais atteint par les gouvernements successifs depuis un bon demi-siècle au minimum. François Hollande en avait fait la pierre de touche du succès de sa politique économique et en a payé le prix en ne pouvant pas afficher un bilan suffisant dans ce domaine, et en devant renoncer à se représenter. Le président actuel n’a pas fait beaucoup mieux, malgré des effets d’annonce, puisque le taux de chômage actuel, après avoir baissé jusqu’à 7,2 %, a remonté à 7,4 % au dernier trimestre. Pour mieux comprendre la difficulté à faire baisser drastiquement et durablement le chômage, il faut se référer à l’observation de Karl Marx au début de la révolution industrielle : le capital a besoin d’un moyen de pression pour maintenir les salaires à un niveau suffisamment bas, et doit donc organiser la concurrence entre les travailleurs, ce qui n’est possible qu’avec un « volant de chômage » fixé arbitrairement à 5 %. Il ne faut pas chercher plus loin la justification de la prévision du MEDEF qui estime que la France sera obligée de recruter beaucoup de travailleurs étrangers pour limiter la hausse des salaires, et faire son marché en triant les « bons immigrés » et en rejetant le surplus. Ce changement de nom et de logo ne fera sans doute pas un changement de politique qui consiste depuis l’origine à faire baisser le nombre de travailleurs indemnisés, sous des prétextes divers, en procédant à des radiations d’office et en durcissant les critères pour toucher les aides de l’état. Bon an mal an, on estime qu’il n’y a que deux tiers de ceux qui ont droit au RSA qui le demandent effectivement.

Tout le discours autour du chômage consiste à culpabiliser ceux qui en sont les premières victimes. Ils seraient trop fainéants pour accepter un emploi peu ou mal rémunéré, alors qu’ils touchent presque autant sans rien faire. Ils ne seraient pas assez mobiles pour accepter un poste à l’autre bout de la France. Pas suffisamment formés ou jugés trop vieux pour s’adapter à un nouveau poste. Les dernières mesures de 2023 vont dans le même sens. Un chômeur ne pourra pas refuser deux CDI sans être sanctionné par la suppression de ses indemnités. Un RSA sera conditionné à un travail d’intérêt collectif de 15 heures par semaine, difficile à assurer pour des parents isolés, et pouvant même concurrencer une recherche active d’emploi qu’ils sont supposés mener parallèlement. Et le pire, c’est que cette propagande constante faisant passer les chômeurs pour des tire-au-flanc volontaires finit par s’installer dans la tête des citoyens. Un récent sondage montre que les Français seraient d’accord avec un contrôle renforcé et des obligations plus dures vis-à-vis des demandeurs d’emploi à plus de 60 %. Ils sont néanmoins plus de la moitié à identifier les salaires trop bas comme cause principale du chômage.