Mieux avant ?

Je poursuis ma réflexion, et peut-être la vôtre, sur la délicate question de la hausse des prix et de l’inflation dont on dit qu’elle a tendance à galoper, et, paradoxalement, un retour en arrière s’impose. Est-ce que c’était vraiment mieux avant ? Pendant cette période où je débutais dans la vie active et où l’inflation était considérée comme un mal absolu, elle présentait cependant quelques avantages. Déjà, le marché du travail était radicalement différent de celui qui existe actuellement. À cette époque, il y avait du travail, pour presque tout le monde, au point qu’il fallait faire venir de la main-d’œuvre étrangère.

C’était l’après-guerre, il fallait reconstruire, au propre comme au figuré. Les immigrés d’alors étaient italiens, portugais, espagnols, ou bien polonais, russes ou maghrébins. La France ne les traitait pas mieux que les migrants d’aujourd’hui, mais ils avaient du travail, qui leur manquait tellement chez eux. Le chômage était très réduit dans notre pays, au point que Georges Pompidou prédisait en 1967 une « révolution » s’il venait à atteindre un jour le demi-million. On ne trouvait pas forcément le travail ou la filière correspondant à ses aspirations profondes, mais on pouvait obtenir un emploi en fonction de ses qualifications, ou de leur absence. La sélection se faisait « naturellement » et la société était tout aussi inégalitaire qu’à présent. L’inflation de l’époque était compensée par une sorte d’échelle mobile qui indexait les salaires sur le coût de la vie. Le système a été abandonné en 1983, pour ne conserver que la référence au SMIC, encore en vigueur de nos jours. L’avantage pour les jeunes actifs, c’était de pouvoir contracter des emprunts ou souscrire des crédits à la consommation avec des mensualités qui s’allégeaient automatiquement par le jeu des dévaluations, de fait par la dépréciation de la monnaie, ou de droit à quelques occasions comme le passage au nouveau Franc par exemple.

C’est ainsi qu’avec des revenus moyens j’ai pu accéder à la propriété, comme beaucoup de mes contemporains. On voit à quel point c’est devenu difficile d’emprunter à présent, sans un apport personnel déjà très conséquent. La société de l’époque était toutefois très corsetée, et la cocotte-minute est montée en pression, jusqu’à exploser dans un épisode prérévolutionnaire, à côté duquel les débordements actuels font figure d’incidents, certes graves, mais sans commune mesure avec la tournure des évènements de mai 1968, où le pouvoir a vraiment vacillé. Au passage, les employés et les ouvriers, qui avaient pris le train en marche, ont grappillé quelques augmentations de salaire que le patronat a repris ensuite patiemment, mais c’était toujours ça de pris. Le président actuel et ses gouvernements successifs semblent s’être fait un point d’honneur de n’accorder aucune augmentation de salaire qui ne soit strictement obligatoire et de privilégier des primes en tout genre, défiscalisées. Il perpétue ainsi le règne de l’arbitraire et du bon vouloir, comme au « bon vieux temps » que je ne peux, finalement, pas regretter.