La guerre innommable

Le premier ministre, Manuel Valls, ne cesse de le répéter. Selon lui, nous serions en guerre. Le président Hollande soutient que le terrorisme nous a déclaré une guerre que nous n’avons pas voulue et qu’il nous faut à présent assumer et gagner. Si l’expression a la vertu de vouloir provoquer une réaction de solidarité nationale et de mobilisation contre un ennemi, elle trouve rapidement ses limites et pourrait se révéler contre-productive. Au sens traditionnel du terme, une guerre se déclare et se déroule d’état à état. Se dire en état de guerre reviendrait à reconnaitre le statut d’état islamique à une organisation à laquelle cette qualité est déniée par le terme « officiel » de Daech.

Ce serait donc faire beaucoup d’honneur à ces terroristes qui se veulent transcender les frontières en instaurant la loi islamique sur tout un territoire, et si possible la terre entière, comme tous les totalitarismes. Il y a bien une guerre, elle se déroule avec des armées conventionnelles sur le terrain d’opérations de Syrie et d’Irak, et cette guerre-là, Daech est en train de la perdre, sans que nous puissions dire qui va la gagner, après les expériences malheureuses des guerres du Golfe ou d’Afghanistan, qui n’ont guère laissé que des champs de ruines. Rien ne permet de penser que cette guerre idéologique ne s’exportera pas ailleurs, comme en Libye, sur les décombres du régime de Khadafi. Ces guerres s’apparentent aux guerres coloniales, que l’on a baptisées « évènements » en Algérie pour ne pas le reconnaitre. Elles ne font que renforcer le camp des doctrinaires islamistes.

Ce qui se passe en Europe ou en Afrique, du point de vue de nos adversaires, serait comparable à la résistance, où la cause légitime justifiait le recours à la violence, au sabotage, aux attentats parfois aveugles. Lui conférer le nom de guerre accrédite la thèse de nos ennemis, qui se prévalent de la religion pour légitimer leurs actions. Alors qu’il ne s’agit en rien d’une guerre de religion comme l’Europe a pu en connaitre, car cela supposerait une symétrie dans les deux camps, inexistante pour les non-musulmans. Cependant, le djihad possède bien une dimension religieuse, comparable à celle qui animait les croisades en d’autres temps. Alors que les croisés s’imaginaient devoir « libérer » les lieux saints de l’occupation impie, les islamistes radicaux prétendent imposer une interprétation rigoriste de leur foi à l’ensemble des croyants, quitte à devoir éliminer tous les infidèles qui refuseraient de se convertir. Quant à leurs méthodes, je ne vois pas de meilleur terme que celui de guérilla urbaine.