On marche sur la tête

Vous l’ignorez peut-être, en France, on a des idées, parfois, mais on a aussi, un peu, du pétrole. Figurez-vous que nous produisons environ 1 % de notre consommation, pour encore quelques années, puisque la France s’est engagée à arrêter l’exploitation du pétrole et du gaz sur son territoire en 2040. Il paraîtrait donc raisonnable de baisser la production nationale pour son extinction progressive. Vous n’y êtes pas. Le président de Bridge Énergies, qui possède un site en région parisienne, veut au contraire développer son activité en pratiquant de nouveaux forages pour exploiter le gisement jusqu’à la dernière goutte. En effet, la production, qui était de 85 barils par jour, soit 13 000 litres environ a chuté à 8 ou 9 000 litres.

L’argumentation est très spécieuse. Il serait plus écologique d’utiliser du pétrole local que de faire venir des hydrocarbures de l’autre bout de la planète, avec un bilan carbone défavorable. Quant à l’autre argument, il est confondant : il faut le faire parce que ce n’est pas interdit jusqu’en 2040. Et peu importent les conséquences éventuelles. En effet, le gisement visé est situé à 1500 mètres de profondeur, et le forage devra traverser une nappe phréatique qui alimente en eau potable 180 000 habitants de Seine-et-Marne à 80 km de Paris. Imaginez les dégâts si la nappe était polluée au moment des travaux pour faire passer les conduits, ou plus tard, pendant l’exploitation. Tout ça pour produire l’équivalent d’une grosse station-service, et permettre de récupérer une part des investissements de la société d’exploitation. Les risques sont bien réels. Pour ceux qui en douteraient, pas plus tard que samedi dernier, une fuite a été décelée dans le terminal pétrolier de Donges qui alimente la raffinerie, et une zone de 500 m² a été contaminée sur la Loire.

Et c’est loin d’être la première fois. En 2021, une fuite avait amené l’écoulement de 300 000 litres de benzène, polluant environ 10 00 m². En 2022, pas moins de 800 000 litres avaient mis en danger la population locale du fait d’une concentration excessive d’hydrocarbures dans l’air. Des résultats cachés par Total pendant 20 mois, et minimisés par la suite. De nouveaux forages sont également prévus sur le bassin d’Arcachon, malgré une opposition vigoureuse des associations locales. Comme sur le site d’Île-de-France, la société exploitante devra préalablement obtenir les autorisations de l’état français par le biais du préfet. C’est le moment où jamais de démontrer que la transition écologique vertueuse prônée par le président de la République va au-delà des mots et des vagues promesses. Il s’agit de prendre des décisions sur des situations concrètes. Comment tenir l’objectif d’être « la première nation à sortir des énergies fossiles » si l’on n’est même pas capable d’empêcher de nouveaux projets de voir le jour ?