Ambiguïté stratégique

La rencontre au sommet d’une vingtaine de pays alliés de l’Ukraine dont 21 chefs d’état et de gouvernement, organisée à Paris hier à l’initiative d’Emmanuel Macron restera peut-être dans l’Histoire comme un tournant important dans la politique de l’Union européenne et la constitution d’une force autonome ne dépendant pas exclusivement des États-Unis, cette Europe de la défense souvent évoquée, mais jamais réalisée jusqu’à présent. Au passage, ce succès diplomatique arrive à point nommé pour redorer le blason d’un président français chahuté par la contestation paysanne au salon de l’Agriculture, contraint à la défensive et sans solutions pour résoudre la crise. Comme pays organisateur, il lui revenait de présenter les conclusions des travaux de cette réunion.

Le président s’en est fait un plaisir, allongeant à l’envi une conférence de presse n’excluant aucun sujet. La déclaration la plus commentée concerne l’éventualité d’un déploiement de troupes au sol en Ukraine, qui n’aurait été ni exclu ni approuvé par les participants. Emmanuel Macron « assume » complètement cette position au nom de ce qu’il appelle une ambiguïté stratégique, une notion militaire qui consiste à entretenir une incertitude sur ses intentions, et de faire craindre une menace maximale à l’ennemi. C’est le fondement même de notre dissuasion nucléaire, que l’on brandit en espérant ne pas avoir besoin de s’en servir. On voit bien les limites de l’exercice. Si l’équilibre de la terreur consécutif à la guerre froide a permis d’éviter un troisième conflit généralisé, il n’a pas empêché des guerres plus localisées, qualifiées de « régionales », et tout aussi meurtrières. L’existence même d’un régime autoritaire au sommet d’une puissance nucléaire est de nature à faire craindre un dérapage incontrôlé entraînant l’ensemble des pays occidentaux dans une escalade non maîtrisée. Les pays alliés de l’Ukraine l’ont bien compris, qui redoutent d’être les suivants sur la liste d’un Vladimir Poutine inarrêtable et qui considère que la Russie a vocation à s’étendre indéfiniment.

La position de la France, qui a longtemps consisté à ménager Monsieur Poutine, en espérant une victoire militaire de l’Ukraine sans lui en donner les moyens, semble avoir évolué vers un volontarisme dans ses déclarations. Emmanuel Macron affiche une détermination sans failles sans toutefois engager la France et les alliés dans une véritable économie de guerre susceptible de faire plier l’adversaire. Si l’on en juge par ses « exploits » passés au plan de la politique intérieure, il a beaucoup misé sur le déclaratif, en annonçant des mesures à l’efficacité douteuse et en les imposant à coup de 49,3 faute de majorité. L’accumulation de grands débats, s’ils ont permis de faire émerger des manques et des revendications n’ont guère eu de traduction pratique. Pour Emmanuel Macron, le dire égale le faire, et il semble adepte des énoncés performatifs, où la parole remplacerait l’action. Il en ressort un équivalent de la fameuse ambiguïté stratégique, qui serait tout bêtement, un flou supposé artistique.