Comptes de Noël

Le jour de Noël, tous les espoirs sont permis. On peut croire à la belle histoire que nous raconte la publicité pour l’EuroMillions, dans laquelle une toute jeune fille savoure l’instant très proche où elle va annoncer à la famille réunie qu’elle a gagné le gros lot et qu’elle partage avec eux. « Dans quelques secondes », chacun pourra exaucer les vœux qu’il chérit depuis longtemps. En Espagne, on appelle cette loterie de Noël « el gordo », le gros, et ça se passait le 22 décembre dernier. En tout, il y avait 2,6 milliards d’euros à gagner et le tirage au sort diffusé en direct à la télévision, passionnait tout le pays.

Selon un rituel bien établi, ce sont des enfants qui annoncent les numéros gagnants en les chantant, d’une voix à la fois monotone et stridente. Cela m’a rappelé mes premiers séjours en Espagne, où j’ai été frappé par l’importance des loteries pour la population, au niveau de vie très inférieur au nôtre à l’époque. À presque tous les coins de rue, on trouvait un vendeur de billets qui rameutait les passants à grand renfort de « una tira para hoy », un tirage ce soir, en général il s’agissait d’un infirme de guerre, ayant perdu un membre ou la vue, à qui l’on faisait l’aumône d’un petit travail, à condition d’avoir combattu du bon côté de la guerre civile remportée par Franco. Je suppose que les concierges des hôtels bénéficiaient eux aussi de ces sortes d’emplois protégés, car beaucoup d’entre eux étaient à l’époque des estropiés, rescapés de la guerre civile. La loterie de Noël, qui a été instituée bien avant ces évènements, continue à fasciner les Espagnols qui y voient une chance de changer le cours de leur vie, grâce au hasard et à la chance.

En France aussi, les jeux de hasard ont la cote. Les ambitions sont souvent plus modestes, comme dans le cas des jeux à gratter, qui ne promettent pas fortune, mais petit superflu. J’y vois une philosophie générale de l’existence, comparable à celle qui veut que le succès possible justifie les injustices présentes. Celui qui veut, il peut. Il lui suffit de traverser la rue. 100 % des gagnants ont tenté leur chance. La routourne tournera, disait le philosophe bien connu Franck Ribéry. Il suffit d’avoir de la veine. Et la chance, ça se mérite, ou pas, d’ailleurs. Mais comme on le dit, l’espoir fait vivre, ça ira mieux demain. Et si l’on ne gagne pas, on peut toujours se consoler en constatant que de nombreux grands gagnants dilapident leur pactole en peu de temps, au point que les organisateurs de loterie leur proposent une formation pour profiter de leurs gains. Joyeux Noël à tous !