Flagrant délire

Le tribunal des flagrants délires était une émission satirique diffusée sur France Inter entre 1980 et 1983. Elle se déroulait en public et son président d’opérette, Claude Villers, était flanqué de Luis Rego dans le rôle de l’avocat de la défense, et de Pierre Desproges dans celui du procureur. On y jugeait pour de rire des personnalités variées telles qu’un journaliste, François de Closets, quand l’émission est passée à Nantes, ou un politique comme Jean-Marie Le Pen, bien assaisonné par un Rego déchaîné. Pierre Desproges avait l’habitude de commencer son réquisitoire en s’adressant à son « adversaire » qu’il présentait comme le « plus bas d’Inter », et de le terminer par une formule rituelle : « donc, l’accusé est coupable, mais son avocat vous en convaincra bien mieux que moi. »

Tout ça pour vous dire que, comme souvent, la réalité dépasse la fiction. En droit français, tout mis en cause a droit à un avocat, désigné d’office en cas de besoin, mais personne ne devrait mériter d’être défendu par Maitre Rémi-Pierre Drai, engagé par Joël Guerriau, ce sénateur de 66 ans soupçonné d’avoir drogué une amie députée dans le but de l’agresser sexuellement. Je crois que depuis le dopage d’un coureur cycliste « à l’insu de son plein gré », on n’a pas vu défense plus pitoyable. Si l’on en croit l’avocat, il s’agirait d’une simple « erreur de manipulation », la drogue, en l’occurrence de l’ecstasy, n’était pas destinée à son amie, mais à lui-même, dans une période de grande fatigue, et après le décès de son chat, vieux et malade. Pour lui, il s’agissait d’un « euphorisant » léger, qu’un ami du Sénat lui aurait recommandé. Il en ignorait totalement la nature exacte, tout comme celle du sachet retrouvé à son domicile sur les indications de la plaignante.

La stratégie de l’avocat, à défaut d’être crédible, a le mérite de la simplicité. Elle pourrait se résumer dans la formule, « plus c’est gros, plus ça passe ». Il donne l’impression de penser que personne n’irait imaginer un tel mensonge aussi grossier. C’est tellement invraisemblable que ça pourrait être vrai. Il devance d’ailleurs les critiques inévitables en les formulant par avance : « ça peut vous paraître surprenant, tiré par les cheveux », dit-il, mais « c’est sa version et je le crois complètement ». Je ne sais pas s’il est bien payé, mais ce n’est surement pas assez pour rémunérer une pareille foi de charbonnier. Certains avocats affirment qu’ils ont besoin de croire à l’innocence de leur client, d’autres, non. Tout vaut mieux que cette déclaration purement formelle, dénuée de toute conviction. Les avocats se doivent, déontologiquement, d’assurer les moyens de défendre leurs clients. On ne peut pas exiger d’eux une obligation de résultat. Le tribunal médiatique a déjà tranché, et le sénateur a été lâché par ses collègues, y compris dans son propre parti.