Justice d’exception
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le samedi 4 novembre 2023 10:54
- Écrit par Claude Séné
Le procès qui va s’ouvrir dans quelques jours sera exceptionnel à plus d’un titre, puisqu’il concernera le ministre de la justice lui-même, qui comparaîtra pour des soupçons de prise illégale d’intérêts, du 6 au 17 novembre prochains, sans toutefois quitter ses fonctions ministérielles. On a connu situation plus favorable pour la sérénité de la justice, sans préjuger de la culpabilité du principal intéressé, dont la présomption d’innocence reste intacte à l’égal de n’importe quel justiciable, jusqu’au prononcé d’un jugement définitif, quel qu’il soit. La jurisprudence habituelle va généralement dans le sens d’un retrait, volontaire ou non, provisoire ou définitif, ne serait-ce que pour permettre à l’intéressé de présenter sa défense.
Il semble que tant le ministre que le président de la République aient opté pour le maintien d’Éric Dupont-Moretti à son poste pendant les audiences, ce qui a nécessité une dispense spéciale du Garde des Sceaux pour le conseil des ministres qui se tiendra le jour habituel, pour éviter l’impact médiatique d’une démission pouvant accréditer la thèse de sa culpabilité. Rappelons à ce sujet que le ministre comparait pour avoir, sous réserve du jugement, voulu se venger de magistrats avec qui il s’était trouvé en conflit lorsqu’il n’était encore que simple avocat, fort en gueule et souvent vindicatif, connu sous le surnom « d’aquittator ». Il aurait profité de ses nouvelles fonctions pour régler ses comptes et ses démêlés avec le Parquet national financier, désormais placé sous son autorité. Pour établir l’impartialité de la procédure, il aurait été plus clair que le ministre se mette en retrait de la république, comme l’aurait fait un simple citoyen. On ne peut pas s’empêcher de se rappeler la phrase malheureuse de François Fillon : « imagine-t-on le général de Gaulle mis en examen », avant de l’être bel et bien lui-même ?
Le pouvoir évitera-t-il cet effet boomerang par ce luxe de précautions, ce n’est pas certain. Éric Dupont-Moretti comparaîtra devant la Cour de justice de la république, composée de trois magistrats professionnels issus de la Cour de cassation, et 12 parlementaires, députés et sénateurs, et s’il est peu probable que leur jugement lui soit défavorable, l’effet produit, lui, ne peut être que désastreux, quel que soit le verdict. Depuis le début, quand le président Macron a décidé de « faire un coup » en nommant une personnalité aussi clivante à un poste très haut placé dans la hiérarchie du pouvoir, il savait qu’il y avait des risques de polémique. La situation de possibles conflits d’intérêts aurait dû conduire le chef de l’état à désigner quelqu’un d’autre. D’autant plus que la CJR apparait comme une juridiction peu impartiale par sa nature même. Il serait bien préférable de soumettre l’exécutif à une juridiction « ordinaire », comme pour tout justiciable.