Génération précaire

Après avoir épuisé les dernières lettres de l’alphabet pour désigner les générations successives qui se présentent et tentent de se frayer un chemin dans une société largement indifférente, voici venu peut-être le temps de la génération précaire. Pour elle, le débat sur la réforme des retraites est largement surréaliste. La plupart des jeunes en âge de se présenter sur le marché du travail ne se font aucune illusion sur la capacité de notre pays à proposer un revenu décent à ceux qui auront travaillé leur vie durant au service de la collectivité, directement pour certains ou indirectement pour d’autres, qui auront créé de la richesse ou y auront contribué par leurs impôts et cotisations.

On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans, et l’on se projette difficilement vers un âge qui apparait alors comme canonique, 64 ans, pensez donc, mais aussi bien 60 ans. Parmi ces jeunes, ou à peine plus âgés, se trouve une catégorie supposée prendre la relève dans les emplois les plus utiles intellectuellement ou manuellement à la société, celle des étudiants. La conjoncture, après les années de pandémie, les place dans une situation économique pour le moins délicate. De plus en plus d’entre eux en sont réduits à fréquenter la soupe populaire, ou son équivalent. Les restaurants du cœur n’ont jamais reçu autant de bénéficiaires aussi jeunes. Quand on les interroge, la plupart expliquent qu’ils ne font qu’un repas par jour, et leur budget est contraint. De l’ordre de 50 à 100 euros pour le mois. Le plus clair de cette somme passe dans des achats de produits bon marché comme les pâtes, mais même elles ont augmenté récemment de 15 %. Les produits frais sont souvent inaccessibles. L’alimentation a augmenté de 13 % sur un an quand l’inflation générale avoisine les 6 % l’an.

Alors quand on apprend que le parti Renaissance du président Macron a fait capoter le projet de loi présenté par le Parti socialiste dans le cadre de sa « niche parlementaire », d’étendre le repas à 1 euro à tous les étudiants, par pur sectarisme et pour ne rien concéder à l’opposition, on en reste baba. L’argument consiste à prétendre concentrer ses efforts sur ceux qui en ont le plus besoin, comme pour le chèque essence. On pourrait l’accepter si le gouvernement faisait réellement un effort pour sortir les plus pauvres de la misère et taxait sérieusement les superprofits. Ce qui est loin d’être le cas. Le parti présidentiel en a été réduit à battre le rappel de ses députés pour faire rejeter le texte à une voix près, et pour fêter ça, le député Renaissance Karl Olive a proposé sur Twitter une recette de coquilles Saint-Jacques, dont les étudiants ne pourront pas se lécher les babines, contrairement à lui, faute d’argent. Et l’homme le plus riche de la planète, Bernard Arnaud, est un Français.