Séismes sans frontières

Les phénomènes naturels ne s’arrêtent pas aux frontières tracées par les humains et la récente catastrophe qui a frappé la Turquie, et dans une moindre mesure, la Syrie voisine, en est une terrible illustration. Après le tremblement de terre d’une magnitude de 7,8, rarement atteinte, sans compter les répliques presque aussi importantes, un élan de solidarité s’est déployé, sur place et par la mobilisation de l’aide internationale. Des sauveteurs professionnels sont venus de partout et notamment de France, pour prêter main-forte aux autorités locales, largement dépassées par l’ampleur de la catastrophe.

Si le séisme, comme le nuage de Tchernobyl, a frappé aveuglément, les conséquences sont différentes en Turquie et en Syrie. Le nombre de victimes et les dégâts matériels sont beaucoup plus importants du côté turc que du côté syrien, la population étant bien plus nombreuse, mais les infrastructures syriennes sont aussi plus faibles, le pays étant en proie à la guerre civile depuis le soulèvement contre Bachar el-Asad. Passées la stupeur et la sidération devant le désastre, les habitants ont commencé à se retourner contre le pouvoir en Turquie, jugeant que le gouvernement n’agissait pas suffisamment et les laissait se débrouiller pour trouver un abri et se procurer le nécessaire à la survie alors que l’hiver est là, et rigoureux. Le président Erdogan a dû en convenir : les opérations de déblayage et de secours n’avancent pas aussi vite que prévu, et souhaité. Les effectifs alloués à ces opérations sont insuffisants et l’aide internationale ne peut pas tout. Beaucoup d’habitants s’étonnent aussi à juste titre que des immeubles construits depuis quelques mois n’ont pas résisté aux secousses telluriques, faisant ainsi la démonstration de l’insuffisance des normes sismiques, supposées amoindrir considérablement les risques. Confusément, les populations touchées en rendent responsable le président qui exerce un pouvoir autoritaire, restreignant les libertés fondamentales, au nom de la lutte contre le terrorisme, en réalité contre le PKK, le parti indépendantiste du Kurdistan.

Du côté syrien, la situation est également critique, les conséquences de la guerre et les rigueurs de l’hiver vont être renforcées par le séisme et plus de 5 millions de personnes pourraient se retrouver sans abri. L’aide humanitaire devra se frayer un chemin pour atteindre les zones encore tenues par les rebelles, et il faudra un cessez-le-feu pour acheminer nourriture et secours. Naturellement, tout ceci aura un coût et l’ONU prévoit un budget de 77 millions de dollars pour lequel il faudra un appel aux dons. On espère que les sommes récoltées arriveront bien à leurs destinataires. Rien ne serait pire que de conforter soit un dictateur sanguinaire comme Bachar el-Asad, soit un autocrate liberticide comme Recep Tayyip Erdogan. En acceptant l’aide internationale, l’un comme l’autre pourrait se sentir obligé de faire droit à un fonctionnement démocratique des institutions.