Être gay à treize ans

On pourrait croire que dans une société telle que la nôtre, l’orientation sexuelle d’un adolescent de treize ans ne devrait pas poser de problème particulier, tant le sujet semble s’être banalisé. Pas une émission de téléréalité, pas une série sans un personnage, visiblement ou discrètement relié à une communauté dont les choix comptent sur le plan économique. La question de l’homosexualité est apparemment traitée dans les émissions d’information ou de divertissement, ou qui mélangent les deux. Il est presque devenu la règle de révéler son homosexualité, alors qu’autrefois cela aurait été un secret bien gardé.

Le tabou n’a cependant pas disparu, et la question se pose de savoir si le jeune Lucas n’a pas mis fin à ses jours la semaine dernière parce qu’il était victime d’un harcèlement, scolaire et social, qui l’aurait poussé à cette tragique extrémité. Nous ne connaissons évidemment que la partie émergée de l’iceberg, et l’enquête devra déterminer s’il y a eu des fautes et des manquements qui auraient entraîné le suicide de Lucas. D’après ce que l’on sait, un premier signalement avait été effectué auprès de l’établissement scolaire, car quelques élèves s’en étaient pris à lui et le poursuivaient avec la cruauté et l’inconscience que l’on peut avoir à cet âge-là, à raison de son homosexualité dont il ne faisait pas mystère. Une démarche couronnée d’un succès apparent. Les attaques semblaient avoir cessé, et le problème paraissait avoir été réglé, du point de vue des autorités scolaires.

Il reste cependant une question lancinante, qui taraude la famille et l’entourage de Lucas : pourquoi en est-il arrivé à ce geste irréversible ? Si l’homosexualité n’est plus un crime ou un délit, son acceptabilité sociale est loin d’être acquise, notamment en milieu rural. Excusez-moi d’utiliser des expressions anglaises, mais elles reflètent une situation qui montre la force des tabous, malgré une apparente banalisation. L’armée américaine traite la question par le silence : « don’t ask, don’t tell » (ne pas demander, ne pas en parler) rejoignant le surnom de « grande muette » attribué à l’armée française. Quant à la famille royale d’Angleterre, sa devise s’applique à tous les sujets gênants : « never complain, never explain » (ne jamais se plaindre, ne jamais se justifier). Une formule qu’elle a empruntée à Benjamin Disraeli, Premier ministre sous la reine Victoria. Cette attitude réclame cependant une force et une détermination hors du commun, dont il n’est pas certain qu’un jeune de 13 ans soit capable. La violence des échanges sur les réseaux sociaux, favorisée par un anonymat permettant toutes les outrances, est de nature à démolir durablement la confiance en soi dont on a tellement besoin à l’adolescence. Sans compter la nécessité d’une reconnaissance sociale et du sentiment d’appartenance à un groupe de personnes proches de soi.