Les nouveaux maîtres de forges
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le vendredi 5 août 2022 10:55
- Écrit par Claude Séné
Au terme d’un marathon parlementaire, les deux assemblées, députés et sénateurs, se sont mises d’accord sur un texte commun destiné à « améliorer le pouvoir d’achat des Français » et sur un budget rectificatif pour financer les mesures ainsi décidées. La longueur même des débats, et leur contenu, semblent témoigner d’un fonctionnement démocratique plus abouti qu’à l’accoutumée, avec de nécessaires compromis et des négociations basées sur le rapport de forces établi par les élections. Et en effet, le gouvernement a dû en rabattre avec ses exigences et accepter certains aménagements, là où il avait l’habitude de passer en force.
Peut-on se réjouir pour autant des concessions obtenues, comme la « déconjugalisation » de l’allocation d’adulte handicapé, votée à la quasi-unanimité, que le gouvernement précédent avait toujours refusée ? La réponse est oui, mais non sans réserves. Comme la plupart des mesures adoptées, elle ne va pas assez loin dans la capacité à l’autonomie, avec un montant de 956 euros par mois. Le pouvoir en est conscient qui va donner un coup de pouce de 100 euros à la rentrée. Cette aide exceptionnelle est emblématique de la philosophie du gouvernement. La soi-disant augmentation du pouvoir d’achat, ici de 4 %, ne compensant pas, et de loin, l’inflation estimée à 6 %, et qui continue à flamber, on octroie des miettes aux bénéficiaires, et l’on évite de pérenniser un budget qui reste soumis au bon vouloir des dirigeants. On se croirait revenu au bon vieux temps des maîtres de forges, quand la grande bourgeoisie donnait dans le social, et que les dames patronnesses tricotaient des écharpes aux miséreux. Les plus généreux, comme la famille De Wendel en Lorraine, poussaient le paternalisme jusqu’à fournir un toit à leurs ouvriers et leur vendaient tout le nécessaire à leur subsistance. Au Nord, c’étaient les corons !
Chaque fois qu’il a fallu prendre un arbitrage, le gouvernement, sur instruction du président, a préféré l’exceptionnel au pérenne. Il a refusé de relever le SMIC au-delà du minimum légal, sans même se rapprocher du niveau de l’inflation, et il préfère allouer des primes dépendant de son bon vouloir, ou celui des chefs d’entreprise, plutôt que d’augmenter les salaires. Il mine les acquis sociaux tels que les RTT en les défiscalisant sournoisement. À terme, la rémunération nette pourrait se scinder en deux parties : un fixe, soumis à cotisations, et une variable, octroyé sous conditions de ne pas déplaire à la hiérarchie. La minorité présidentielle se glorifie d’avoir pu faire voter ces dispositions, malgré sa majorité toute relative, mais elle pourrait avoir mangé son pain blanc en premier. Même insuffisantes, ces compensations devaient être adoptées pour ne pas pénaliser encore plus les Français. La suite pourrait être délicate, comme en témoigne le report de l’examen de la loi sur l’immigration, prévu en octobre au Sénat, pour laisser place à un énième « grand débat » sur ce sujet inépuisable.