Hiérarchie macabre

On ne devrait pas faire de différence entre les victimes de violence. Les morts tragiques comme celles des deux personnes qui ont fait l’actualité récente, ce sont toujours deux morts de trop, surtout quand les drames paraissaient évitables. Et pourtant, force est de constater que le traitement médiatique dans ces deux affaires a été très différent. Les journaux télévisés et les chaines d’information continue ont consacré beaucoup plus de temps et d’espace à la mort d’Éric Masson, policier tué par un dealer à Avignon, qu’à celle de Chahinez, brûlée vive par son mari à Mérignac.

Je sais bien que les circonstances et le degré de proximité avec les victimes influent sur le retentissement et le pouvoir d’émotion dans le public, au point qu’en journalisme on parle de ratio du nombre de morts par kilomètre de distance, pour expliquer pourquoi un mort dans un village proche touche plus que plusieurs centaines de morts dans un pays lointain. Mais, précisément, le public devrait être spontanément sensible au calvaire de cette femme victime d’un féminicide dans des conditions atroces, au moins autant qu’à la mort d’un policier, fût-il aussi méritant que celui-ci. Il était père de deux enfants, certes, mais Chahinez était mère de trois enfants elle aussi. Alors quoi ? Le policier porte un joli nom chrétien, et celui de la mère de famille trahit son origine algérienne ? Ou bien le trafic de drogue est plus vendeur que les violences conjugales ? Ou encore que le thème de l’insécurité qui serait en constante progression serait mieux illustré quand la victime appartient aux forces de l’ordre et pourrait rapporter plus de voix aux élections qu’une femme martyre ?

J’ai même entendu une journaliste (ou devrais-je dire une polémiste ?) s’interroger à voix haute sur l’éventualité que le dealer avait déjà un casier et qu’il n’aurait pas été puni assez sévèrement par une justice, évidemment et forcément laxiste. Car c’est l’antienne reprise à l’envi par les syndicats de policiers. Une hypothèse purement spéculative tant que le présumé coupable n’aura pas été identifié. Cette indignation sélective ne semble pas s’appliquer à la deuxième affaire, alors qu’il est avéré que le mari violent a déjà été condamné 7 fois, que la femme avait porté plainte récemment, sans suite apparente, et qu’elle n’avait pas bénéficié de la moindre protection, ni par un bracelet anti-rapprochement, ni par un téléphone « grand danger » qui aurait pu lui sauver la vie. Nous sommes très en retard sur la mise en place de mesures de protection des femmes menacées par leur conjoint passé ou présent, si nous nous comparons aux Espagnols qui ont mis en place bien avant nous une politique de prévention qui commence à porter ses fruits. Ce ne sont pas les belles paroles de Marlène Schiappa et d’Éric Dupont-Moretti qui suffiront à améliorer les choses.