Jeudi, c’est euthanasie

Désolé de plomber l’ambiance, mais si je veux aborder ce sujet délicat, c’est le jour ou jamais. Demain, il sera trop tard, en tout cas sur le plan législatif, puisque l’Assemblée nationale ne dispose que jusqu’à ce soir minuit pour débattre de la proposition de loi émanant du député Olivier Falorni au nom du groupe de centre gauche « Liberté et territoires ». L’examen du texte sur le « droit à une fin de vie libre et choisie » va en effet être entravé par celui des presque 3000 amendements déposés par le groupe « les Républicains ».

Cette obstruction est justifiée par le groupe d’opposition au motif que le sujet est trop important pour être traité en quelques heures. Le gouvernement aurait pu, s’il l’avait souhaité, reprendre à son compte le projet et lui donner un espace de discussion conséquent dans le calendrier parlementaire, dont il est le maître. Il s’en est bien gardé, tant la question est sensible et divise l’opinion. Il laisse l’opposition se déchirer dans l’infime créneau de la niche parlementaire qui lui est généreusement alloué. Il laisse entendre qu’il n’est pas hostile au principe même, tout en ne se donnant pas les moyens d’aborder sérieusement une question de société importante. Les lois actuelles, dues pour l’essentiel au député Jean Léonetti, sont notoirement insuffisantes et sont régulièrement contournées comme autrefois pour l’IVG, par ceux qui ont les moyens de se payer une ultime liberté en se rendant en Suisse ou en Belgique, où le suicide assisté est légal.

Sur le fond, les adversaires du droit nouveau réclamé par de nombreuses personnes sensibilisées à la question en général par des exemples personnels jouent sur l’ambiguïté du mot euthanasie. Étymologiquement, cette « mort heureuse » n’est pas liée à une volonté de la personne concernée, et c’est pourtant ce qui change tout. On fera euthanasier un animal de compagnie pour lui épargner des souffrances insupportables, mais sans lui demander son avis. Des intellectuels comme Houellebecq vont même jusqu’à caricaturer le geste de compassion que peut-être un suicide assisté en invoquant l’eugénisme nazi ou la dictature de la rentabilité économique pour éliminer les vieux, les « anormaux » les faibles, les handicapés, etc. Si l’on considère l’aspect pénal, le suicide en lui-même n’est pas un crime ni même un délit. Cependant, l’aide apportée à quelqu’un pour qu’il mette fin à ses jours tombe sous le coup de la loi, y compris s’il s’agit seulement de lui donner des informations, ou à plus forte raison des moyens de parvenir à ses fins. Le texte proposé, après de nombreux autres précédents, aurait permis de résoudre partiellement cette contradiction. Il devrait évidemment être accompagné de précautions pour s’assurer de la volonté éclairée de la personne concernée.