Le pied du mur

C’est là que l’on voit le maçon, dit-on. Le gouvernement avait évoqué le « mur du 5 décembre » sur lequel il craignait que se fracasse sa réforme des retraites, tout en espérant secrètement que la mobilisation populaire ne soit pas au rendez-vous. Avec entre 800 000 personnes selon le ministère de l’Intérieur et un million et demi selon la CGT, la démonstration de force est indéniable et le Premier ministre a bien été contraint de la reconnaître, tout en essayant de noyer le poisson comme à son habitude.

Le sophiste en chef nous a gratifiés d’une belle démonstration de l’art de tirer des conclusions erronées de prémisses exactes. « Il ne serait pas raisonnable, pas acceptable, pas juste de changer les règles en cours de partie », a-t-il déclaré à propos des carrières des cheminots et des employés de la RATP, avant d’ajouter qu’il ne faisait pas partie de ceux qui stigmatisaient les bénéficiaires de régimes spéciaux. On s’attend alors à la conclusion logique qui serait de s’assoir à la table de négociations pour discuter de tous les sujets sans exclure l’abandon pur et simple d’un projet ni raisonnable, ni acceptable, ni juste. Au lieu de quoi, il maintient mordicus le principe de la réforme, ne laissant finalement plus que des miettes à discuter, se réservant la décision finale. C’est très exactement ce dont les syndicats ne veulent pas : une gestion des retraites dans laquelle ils n’auront aucune voix au chapitre, décidée selon le bon plaisir des gouvernants au gré des fluctuations de l’économie, où les salariés n’auront aucune garantie sur la pérennité de leurs revenus.

Car le fond de l’affaire est bien là : le gouvernement, la main sur le cœur, jure ses grands dieux que la réforme apportera plus de justice sociale, et les administrés ne lui font aucune confiance, et à mon avis, ils ont raison. Comme le disent nos voisins allemands, la confiance, c’est bien, le contrôle, c’est mieux. Quand le ministre de l’Éducation nationale annonce une augmentation conséquente du salaire des enseignants pour compenser la baisse prévisible de leur pension de retraite, il est clair qu’il n’engage que lui-même. Cette revalorisation, évoquée depuis toujours, sans cesse repoussée aux calendes, ne serait que justice et rattrapage d’une sous-rémunération indigne de notre pays. Que le gouvernement commence par l’intégrer au projet de budget 2020, et peut-être les enseignants voudront bien croire leur ministre. En la matière, comme en amour, sans preuve, il n’y a pas de sentiment qui vaille. Et maintenant ? La motivation des protestataires ne semble pas devoir faiblir de sitôt. Le pouvoir cherche à gagner du temps, mais devrait s’en persuader au plus vite, pour épargner ces épreuves au pays, et renoncer à faire les pseudo-volontés du peuple contre lui.