Humour noir

Trois hommes viennent d’être innocentés après avoir passé 36 ans en prison aux États-Unis. Alfred Chestnut, Andrew Stewart et Ransom Watkins avaient été reconnus coupables du meurtre d’un jeune garçon de 14 ans, DeWitt Duckett dans son école à Baltimore. Le fait-divers a été rapporté en France sur l’antenne d’Europe 1, dont la présentation a fait montre d’un humour que j’espère involontaire : selon la station, les trois hommes auraient été « blanchis », ce qui constitue une plaisanterie plus que douteuse dans la mesure où les condamnés en question étaient des « African-Américans » selon la terminologie en vigueur aux USA.

Tout porte à croire que la dimension raciale n’a pas été absente du procès qui a abouti à une condamnation à la perpétuité pour ces trois jeunes âgés de 16 et 17 ans au moment des faits. Ces anciens élèves du collège où étudiait le jeune DeWitt Duckett avaient rendu visite à leurs amis et professeurs et se trouvaient donc sur place. Ils auraient tué l’adolescent pour lui prendre son blouson. La police a fait pression sur 4 élèves pour qu’ils témoignent contre les suspects. Ils se sont rétractés depuis. Il aura fallu cependant la constance et les demandes d’investigation d’un des condamnés pour aboutir à la conviction de la culpabilité d’un autre adolescent de 18 ans à l’époque, et décédé de mort violente en 2002. Le blouson de la victime aurait été retrouvé à son domicile. On a quand même la nette impression que la justice américaine a fait preuve de ce qu’elle peut montrer de pire dans cette affaire.

Le système de preuves nécessaires à établir la culpabilité d’un accusé, destiné à protéger les innocents, se retourne contre eux, la police succombant trop souvent à la tentation de les fabriquer lorsqu’elles font défaut. Il fallait absolument boucler rapidement l’enquête en 1983 sur ce qui constituait le premier homicide dans un établissement scolaire. La carrière des procureurs américains dépend du taux de condamnations obtenues et certains sont prêts à tous les arrangements pour réussir. Même si le nombre de détenus a légèrement baissé au cours de la dernière décennie, il reste un des plus élevés du monde en pourcentage et un Noir a 6 fois plus de « chances » d’être incarcéré qu’un Blanc. Dans cette affaire de Baltimore on retrouve les mêmes ingrédients que dans le film documentaire remarquable consacré par Jean-Xavier de Lestrade au cas de Brenton Butler sous le titre « Un coupable idéal ». Les trois innocents libérés ont fait preuve d’une grande dignité et d’une grande retenue envers le système qui leur a volé 36 ans de leur vie. Quelle que soit sa hauteur, l’indemnisation qui leur est promise ne compensera jamais un tel préjudice.