Le malheur est dans le pré !

Même si certains y trouvent le bonheur, tous ces néo ruraux fuyant la vie difficile en ville et ceux qui voulaient se reconvertir, orienter leur vie vers des valeurs plus essentielles… (cf. mon billet du 18 aout) il y a aussi hélas du malheur dans ce pré qui touche de près ceux qui ne l’ont jamais quitté, car leurs racines y sont bien implantées, je parle de ceux qu’on appelait avec parfois un peu de mépris « les paysans » et plus souvent maintenant « les agriculteurs ».

Le film d’Édouard Bergeon « Au nom de la terre » retraçant l’itinéraire de son père, de son début d’agriculteur jusqu’à son suicide, a jeté une lumière sur la vie difficile et complexe des 450 000 exploitations du monde agricole qui traverse une crise à la fois existentielle et financière.

Dans l’après-guerre ils étaient les rois (35 % de la population) on leur a demandé de produire de plus en plus pour assurer l’autosuffisance de la France, aujourd’hui (2 % de la population) on veut qu’ils produisent mieux et moins, sans pesticides, en garantissant la santé des consommateurs. Ces derniers ignorant, ou ne voulant pas savoir, ce qui se cache derrière cet engrenage de la course à la production, nécessitant de recourir à des produits phytosanitaires, ont de plus en plus une image négative des agriculteurs. Ils se sentent mal-aimés, remis en question dans leur mission fondamentale de nourrir la population, qui les accuse d’être des pollueurs, des empoisonneurs, des marchands de mort… et des maltraitants d’animaux, en faisant perdurer l’agriculture intensive.

C’est une vision que je ne suis pas loin de partager, mais il serait injuste de ne pas comprendre ce qui peut mener ces chefs d’exploitation à gérer leur ferme qui n’a plus rien de familial, comme une entreprise, qu’il faut moderniser et pour cela investir dans les agrandissements, dans des achats de terres et de matériels qui les mènent obligatoirement vers les banques qui s’enrichissent sur leur dos… Les coopératives, en fournissant à crédit, les acculent à un échelonnement de dette entraînant des intérêts supplémentaires, elles font des avances sur les subventions de la PAC*, moyennant 3,5 % d’intérêt. Un exploitant sur cinq est en déficit, 25 % ont un revenu ne dépassant pas 642 € par mois.

Surendettés, subissant les aléas du climat, sécheresse, inondation, tempête, qui peuvent les mener à la faillite, autant que les aléas des besoins alimentaires mondiaux, ou victimes des fluctuations des marchés, ils sont trop nombreux à mettre fin à leurs jours : 732 en 2018 !

Même si 20 % des exploitants sont passés au bio, on est encore loin de protéger et la terre et ceux qui l’exploitent même mal, de la « financiarisation de la terre » ! Pour échapper au rachat des terres par des investisseurs, cherchant avant tout le profit tiré de fermes usines avec 250 000 poules, 125 000 poulets ou 1000 vaches…, pour que le métier d’agriculteur ne soit plus en voie de disparition, il reste l’espoir que les 14 319 nouveaux venus (ne contrebalançant pas les disparitions) souvent diplômés d’agriculture ou d’agronomie (les lycées agricoles font le plein) soient capables de mettre en place des modèles de production leur faisant éviter les pièges de leurs aînés.

 *50 % des exploitations seraient en faillite sans cette subvention de 330 000 € par an au lieu de 14 % !

L’invitée du dimanche