Une grève instructive
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le samedi 11 août 2018 10:12
- Écrit par Claude Séné
Le conflit social chez Ryanair est l’occasion de questionner un modèle économique très en vogue depuis un certain nombre d’années. Basée sur le low-cost, la compagnie irlandaise a conquis énormément de parts de marché et engrange des bénéfices records. Cependant, elle refuse d’en faire profiter son personnel, et notamment les pilotes, qui sont les principaux acteurs de l’avantage concurrentiel dont elle bénéficie. En les employant sous contrat de droit irlandais, la compagnie s’affranchit des cotisations sociales, ce qui lui permet un coût de revient inférieur. Un procédé que l’on retrouve sous une autre forme chez les chauffeurs VTC d’Uber.
Pour toute réponse aux revendications des pilotes, le bouillant PDG de Ryanair, Michael O’Leary, s’est contenté d’annoncer qu’il renonçait à son bonus d’un million d’euros, qui correspond à un an de salaire. Une « concession » qui n’est pas sans rappeler celle du gouvernement français dans le conflit touchant la SNCF quand l’état promet d’endosser la dette dont il est responsable pour justifier le mépris des demandes du personnel. Malgré cette diversion, Michael O’Leary conserve son salaire de 1,06 million d’euros auquel s’ajoutent des primes en actions pour 1,25 million. Pour Ryanair, les grèves n’ont aucune utilité ni justification et la direction se veut intraitable. Le dialogue social est ainsi réduit à sa plus simple expression. Le modèle ultra concurrentiel qui a fait la fortune de Ryanair pourrait se retourner contre lui. La croissance exponentielle du trafic aérien amène à une raréfaction relative du personnel formé. La Chine, notamment, offre des salaires plus conséquents pour attirer les pilotes occidentaux, et Ryanair, comme Air France, sera obligé d’en tenir compte.
Un autre enseignement du conflit, plus inattendu celui-là, réside dans l’indemnisation des passagers, lésés par des retards ou des annulations de vol. Ryanair refuse de réparer le préjudice en prétendant qu’il s’agit de « circonstances extraordinaires ». Une affirmation contredite par le droit européen. La cour de justice de l’Union européenne rendait un arrêt en avril dernier pour rappeler que les conflits sociaux et les grèves ne relevaient pas de ces circonstances particulières, du fait que des négociations auraient permis de les éviter. La Lufthansa a d’ailleurs été condamnée récemment pour des faits similaires. Ce qui veut dire que la fameuse théorie des usagers pris en otages par les syndicats, dont on nous bassine à chaque mouvement social, n’a aucun fondement juridique. Elle souligne la responsabilité des dirigeants d’entreprises, notamment de service public, qui obligent, par leur intransigeance, les salariés à recourir à cette arme ultime qu’est la grève, sans avoir épuisé le dialogue social. Un exemple à méditer pour l’état français, patron de SNCF et autres compagnies nationales, qui préfère dilapider en pure perte des sommes considérables plutôt que de les investir dans l’entreprise.