Au conditionnel
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le lundi 6 août 2018 10:58
- Écrit par Claude Séné
C’est le mode le plus couramment utilisé dans la presse pour évoquer l’attentat auquel aurait échappé le président du Venezuela, Nicolas Maduro. Un « attentat » entouré de force guillemets pour souligner encore, s’il était nécessaire, le caractère hypothétique de cette tentative. Ce qui met la puce à l’oreille, c’est la promptitude avec laquelle le président vénézuélien a désigné celui qui serait selon lui derrière cet attentat manqué, un coupable idéal, le président de la Colombie voisine, Juan Manuel Santos, qui s’apprête à céder le pouvoir à son successeur, élu en juin, Ivan Duque.
Rien ne vaut un ennemi héréditaire pour conforter un pouvoir vacillant, ou s’arroger les pleins pouvoirs pour s’y maintenir. Maduro a déjà transféré les pouvoirs limités du parlement à une assemblée constituante entièrement dévouée à sa botte l’an dernier, mais l’échec économique de sa politique est trop patent pour ne pas attiser la colère des citoyens, orphelins de l’époque d’Hugo Chavez où la prospérité relative masquait les aspects négatifs d’un pouvoir totalitaire. L’imprévoyance des dirigeants et la baisse des cours du pétrole ont achevé de ruiner le pays, malgré ses richesses naturelles. La tentation est donc grande de détourner la colère populaire sur un ennemi, intérieur ou extérieur. Les exemples de ce type ne manquent pas. Nicolas Maduro a pu s’inspirer du président turc, Recep Tayyip Erdogan, « victime » lui aussi d’une tentative de coup d’État, attribuée sans preuve à son rival de toujours, réfugié aux États-Unis, le prédicateur Fetullah Gülen, et qui lui a permis de purger sans pitié l’appareil d’état de toute opposition et d’assoir son pouvoir personnel.
Le procédé a cependant ses limites et peut dans certains cas se retourner contre celui qui l’utilise à mauvais escient. En 2004, une série d’attentats se déroulent dans la banlieue de Madrid, notamment à la gare d’Atocha et fait près de 200 morts. Le Premier ministre en poste à l’époque, Jose Maria Aznar, désigne le mouvement séparatiste basque ETA comme responsable de cette hécatombe, non revendiquée dans un premier temps. Ce faisant, il tente de récupérer à son profit l’émotion légitime de la population et escompte une large victoire aux élections générales prévues quelques jours plus tard. Démenti par les faits et la revendication d’Al-Qaïda, le parti populaire sera nettement devancé par le parti socialiste et devra abandonner le pouvoir. Quelques années plus tard, c’est Mariano Rajoy qui fait les frais de sa tentative d’instrumentaliser la crise séparatiste avec la Catalogne. Quant à Maduro, son nom signifie « mûr » en espagnol, le stade précédant « pourri » quand il s’agit de fruits, et il ne tient plus guère à la branche que par le soutien du grand frère cubain, lui-même fragilisé.