Un vrai conte de fées

Andy Warhol prétendait que chacun pouvait prétendre à être célèbre pendant 15 minutes dans son existence, une affirmation vérifiée pour certains anonymes propulsés sur le devant de la scène sans autre mérite particulier que de passer à la télévision dans le cadre d’émissions plus ou moins débiles. Dimanche dernier, c’est un arbitre français de football qui a accédé à une célébrité mondiale dont il se serait bien passé en expulsant un joueur nantais qui l’avait fait chuter involontairement. Cet arbitre professionnel, persuadé de l’intentionnalité du geste, est même allé jusqu’à lui donner un coup de pied, tout à fait volontaire, celui-ci.

Cet arbitre porte un nom qui semble issu des contes imaginés par les frères Grimm, puisqu’il s’appelle Tony Chapron. Étant donnée la couleur du carton qu’il a sorti à l’encontre du joueur, Diego Carlos, le jeu de mots était inévitable, et la presse comme la blogosphère l’a aussitôt surnommé le petit Chapron rouge. Si l’on continue à filer la métaphore, on peut dire que ce monsieur était déjà connu comme le loup blanc pour son autoritarisme et son langage assez cru envers les joueurs et les dirigeants de clubs. Cette fois, il a dépassé les bornes de l’acceptable en voyant rouge. Ce qui est cocasse, c’est qu’il a accordé un coup franc aux Parisiens sur cette faute imaginaire commise sur lui, comme s’il faisait partie de l’équipe du PSG. Par contre, le geste qu’il a tenté sur le joueur nantais, un tacle, aurait pu valoir son expulsion, à la fois parce qu’il était mal exécuté, et parce qu’il démontrait une volonté de faire mal, à l’encontre du fair-play attendu des joueurs.

Ce qui est ballot, c’est que Tony Chapron s’apprêtait à prendre sa retraite d’arbitre professionnel à la fin de la saison, et qu’il risque fort d’anticiper son départ et devoir quitter sans gloire sa fonction. Pour tenter de comprendre son geste, sans évidemment l’excuser, on peut se représenter le pouvoir détenu par un arbitre du championnat, qui peut, et doit, s’imposer à des stars internationales comme Neymar, pour ne citer que lui. Il y a de quoi tourner la tête, surtout si elle est un peu fragile. Un arbitre professionnel gagne correctement sa vie, mais son salaire n’a rien à voir avec les sommes considérables engrangées par les vedettes. Quand Tony Chapron touche 3 000 € bruts mensuels, Neymar en perçoit 3 millions, sans compter bien sûr les revenus publicitaires. De quoi exciter les jalousies et céder à la tentation d’exercer son pouvoir éphémère, se mettre en vedette, alors que l’arbitre est là précisément pour permettre au jeu de se dérouler dans les meilleures conditions, en toute impartialité, et en oubliant les questions de galette et de pot de beurre.