La charrue avant les bœufs

Alors que tout le monde, moi le premier, considérait que le vote de confiance demandé par François Bayrou ne pouvait être que son rejet net et sans appel, bien que le Premier ministre ait consciencieusement fait semblant du contraire en affichant une sérénité de façade, nous avons été surpris de l’ampleur du résultat, qui démontre que si les groupes d’opposition ont fait le plein des votes négatifs, les derniers soutiens du régime ont peiné à mobiliser en faveur du gouvernement en place. Le résultat est donc sans ambiguïté avec un score de 364 « contre » et 194 « pour ».

François Bayrou va donc devoir présenter sa démission et celle de son gouvernement au Président de la République dès aujourd’hui, alors que rien ne l’obligeait à poser la question de confiance à ce moment-là. L’eût-il souhaité qu’il aurait été plus logique de la demander dès sa nomination pour s’assurer d’avoir les coudées franches. Ses prédécesseurs immédiats, connaissant les sondages d’opinion, se sont gardés d’engager spontanément leur responsabilité, laissant le soin à l’opposition de déposer des motions de censure, plus difficiles à faire passer. François Bayrou aura été le seul Premier ministre de la 5e République à ne pas obtenir la confiance de l’Assemblée, qui ne se demande qu’à coup sûr. D’ailleurs, toute sa trajectoire aura été atypique. Après avoir fait des pieds et des mains pour obtenir le Graal de chef de gouvernement, tordant le bras du Président Macron pour décrocher le poste, il a attendu d’avoir braqué l’opinion par des mesures impopulaires pour entamer des consultations portant sur des modalités, sans jamais chercher véritablement de compromis, ni envoyer de signaux aux opposants les plus résolus.

À sa décharge, il faut souligner que le régime en vigueur sous la 5République prévoit un exécutif à deux têtes, un peu comme l’attelage d’une paire de bœufs réunis sous le même joug. Naturellement, si l’un des deux tire à hue, et l’autre à dia, la charrue n’avance guère, comme on peut le voir en ce moment. Et le Président reste plus égal en général que le Premier ministre, sauf en cohabitation. Or, pour le moment, il n’y a pas de majorité, ce qui laisse un flou institutionnel dont profite Emmanuel Macron pour se maintenir au pouvoir par tous les moyens, y compris les plus stupides. Après avoir dissous l’Assemblée l’an dernier, sans la moindre « clarification » alors que personne ne le lui demandait, voilà qu’il se refuse obstinément à le refaire maintenant, quand tout, et particulièrement le simple bon sens, commanderait de consulter les Français, qui souhaitent de nouvelles élections législatives pour près des deux tiers d’entre eux. Si ce n’est pas de l’esprit de contradiction, on se demande bien ce que c’est.