Étudiant poil aux dents

On se croirait revenu au bon vieux temps où la contestation prenait naissance à l’université et ambitionnait de faire tache d’huile en « coagulant » les luttes, ouvrières ou paysannes, avec une perspective de généralisation, qui n’a presque jamais abouti, mais qui est resté comme un mythe fondateur dans l’inconscient collectif. Comme le chantait Ferrat, la France de 36 soufflait alors ses 68 chandelles. Cette fois, l’étincelle provient d’un bastion de l’élite parisienne que l’on n’aurait jamais imaginé comme un repaire de gauchistes il n’y a pas si longtemps, avec des manifestations et l’occupation des locaux de Sciences Po par des militants de la cause palestinienne.

Selon un rituel bien établi, la direction a fait appel aux CRS pour évacuer les lieux de la contestation, et s’interposer entre partisans de la lutte palestinienne et militants pro-israéliens, venus s’opposer au nom de leurs causes respectives. Les manifestants pro-palestiniens ont réclamé haut et fort une condamnation de la part de la direction des bombardements à Gaza et la rupture des relations avec les universités israéliennes. Ils ont reçu le soutien de plusieurs députés et personnalités de la France Insoumise. Cette politisation a immédiatement servi de prétexte aux tenants d’une pseudoneutralité dans le conflit israélo-arabe pour dénoncer le nouveau mal absolu, le wokisme, déjà à l’œuvre dans les campus américains. Sans la moindre surprise, l’éditorial du Figaro a dénoncé l’antisionisme de ces étudiants, qui ne serait que « le cache-sexe de l’antisémitisme ». Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage.

Il faut cependant noter que les affrontements entre manifestants ou avec les forces de l’ordre ne semblent pas avoir donné lieu à des violences excessives. Après plus de 24 heures, l’occupation des locaux a pris fin dans un calme relatif et le blocage a été levé. Une rencontre devrait avoir lieu avec la direction dans les jours à venir, en échange de l’abandon des poursuites à l’égard des étudiants. Je ne sais pas si, comme l’a dit Jean-Luc Mélenchon, ces manifestants sont « l’honneur de notre pays », et si leur mouvement aura une quelconque influence sur le conflit qui s’est enkysté au Proche-Orient, mais il serait l’indicateur d’une opinion publique mondiale qui semble avoir pris fait et cause pour les Palestiniens, malgré leur attaque terroriste du 7 octobre, en raison d’une riposte meurtrière qui ne semble pas devoir prendre fin. C’est malheureux, mais le peuple qui souffre le plus actuellement semble bien le peuple Gazaoui, pris en tenaille entre des forces destructrices, et ce n’est pas le martyre passé de la Shoah qui peut autoriser une telle attitude des dirigeants actuels d’Israël.