 
Pousse au crime
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le dimanche 23 août 2015 10:46
- Écrit par L'invitée du dimanche
 
À Hyères,un incident survenu le 25 juillet dernier entre un salarié du fast food et deux clochards a poussé la direction du McDonald’s à afficher un message demandant à ses salariés de ne plus nourrir des sans-abris. Ces quelques lignes publiées dans le journal Var matin, après m’avoir légitimement indignée, m’ont fait venir à l’esprit instantanément ce très beau poème de Jacques Prévert*.
La grasse matinée.
Il est terrible
 le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain
 il est terrible ce bruit
 quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim
 elle est terrible aussi la tête de l’homme
 la tête de l’homme qui a faim
 quand il se regarde à six heures du matin
 dans la glace du grand magasin
 une tête couleur de poussière
 ce n’est pas sa tête pourtant qu’il regarde
 dans la vitrine de chez Potin
 il s’en fout de sa tête l’homme
 il n’y pense pas
 il songe
 il imagine une autre tête
 une tête de veau par exemple
 avec une sauce de vinaigre
 ou une tête de n’importe quoi qui se mange
 et il remue doucement la mâchoire
 doucement
 et il grince des dents doucement
 car le monde se paye sa tête
 et il ne peut rien contre ce monde
 et il compte sur ses doigts un deux trois
 un deux trois
 cela fait trois jours qu’il n’a pas mangé
 et il a beau se répéter depuis trois jours
 Ça ne peut pas durer
 ça dure
 trois jours
 trois nuits
 sans manger
 et derrière ces vitres
 ces pâtés ces bouteilles ces conserves
 poissons morts protégés par les boîtes
 boîtes protégées par les vitres
 vitres protégées par les flics
 flics protégés par la crainte
 que de barricades pour six malheureuses sardines..
 Un peu plus loin le bistrot
 café-crème et croissants chauds
 l’homme titube
 et dans l’intérieur de sa tête
 un brouillard de mots
 un brouillard de mots
 sardines à manger
 œuf dur café-crème
 café arrosé rhum
 café-crème
 café-crème
 café-crime arrosé sang !...
 Un homme très estimé dans son quartier
 a été égorgé en plein jour
 l’assassin le vagabond lui a volé
 deux francs
 soit un café arrosé
 zéro franc soixante-dix
 deux tartines beurrées
 et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon.
Jacques Prévert.
70 ans plus tard, ce poème extrait de « paroles » publié en 1945, période de restrictions alimentaires… se passe de commentaires !!
Jacques Prévert 1900 -1977 poète et scénariste français célèbre dans le monde entier n’est plus à présenter, toute sa vie il témoignera d’un engagement politique sincère à travers son œuvre.
L’invitée du dimanche
 
                                                                                                                        
