Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose

Cette sentence du philosophe Francis Bacon est largement plus connue que l’ensemble de son œuvre et elle a traversé le temps sans prendre une ride. Peut-être parce qu’elle illustre parfaitement la difficulté, voire l’impossibilité de combattre une rumeur, qui se nourrit autant, sinon plus, des démentis, que d’apparentes confirmations parfaitement fausses. Cette semaine s’est ouvert le procès en cyberharcèlement de dix personnes ayant relayé une « infox » selon laquelle la Première dame, Brigitte Macron, serait en réalité une femme transgenre, née sous le patronyme de Jean-Michel Trogneux, nom de jeune fille de l’épouse du président. Cette rumeur est à l’évidence transphobe, mais camoufle mal d’autres procès en immoralité.

Vous me connaissez, je ne suis pas, et loin de là, un zélateur du président de la république, ni sur le fond, ni sur la forme monarchique qu’il a adoptée depuis son élection surprise en 2017 et une réélection qu’il doit à un rejet du Rassemblement national d’une partie des électeurs. Cela ne m’empêche pas de condamner fermement des accusations sans liens avec la politique, néfaste à bien des égards, d’Emmanuel Macron, dont la vie privée ne m’intéresse absolument pas, ou en rapport avec la personne qui partage sa vie. Il me semble que le débat politique, bien compliqué par la dissolution ratée et l’éclatement, voire l’émiettement des partis, suffit largement à alimenter des discussions de café du commerce et à créer une instabilité, voire une insécurité préjudiciable à l’ensemble de la population, pour aller chercher des polémiques purement malveillantes pour se rendre intéressant.

La ligne de défense des propagateurs de fausses nouvelles est particulièrement exemplaire. Alors que les rumeurs d’autrefois étaient essentiellement anonymes, leur mode de diffusion est désormais public et passe par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Ceux-ci ont de nombreux défauts, mais un gros avantage, la traçabilité, malgré l’usage de pseudonymes supposés préserver l’anonymat. Les prévenus peuvent ici difficilement nier leur implication dans les allégations qui ont circulé, et ils ont minimisé la gravité des atteintes à la réputation des victimes, en feignant de plaisanter, de faire de l’humour pour un résultat identique à une attaque au premier degré. Un des accusés a même revendiqué « l’esprit Charlie », un comble, qui a dû se faire retourner dans leur tombe les humoristes de métier, tués par d’authentiques terroristes. Sous couvert de liberté d’expression, un vent « libertarien » souffle sur notre pays, à l’instar des États-Unis, particulièrement laxistes sur le sujet. Une plainte a aussi été déposée outre-Atlantique contre Candace Owens, qui relaie activement toutes ces vérités « alternatives » au nom de la liberté totale d’expression, chère à Elon Musk, Donald Trump ou Javier Milei, le président argentin. Quant à l’autre argument des accusés, il est vieux comme le monde : « il n’y a pas de fumée sans feu ». CQFD.