Le monde à l’envers suite
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le dimanche 14 septembre 2025 10:13
- Écrit par L'invitée du dimanche
Le procès d’Henriette Caillaux
Depuis son arrestation le 16 mars 1914, elle est incarcérée à la prison Saint-Lazare, et bénéficie d’un traitement de faveur, une cellule pour elle seule, ses repas apportés de l’extérieur…
Son procès commencera à la cour d’assises de la Seine le 20 juillet 1914, son défenseur sera Me Labori (l’avocat de Dreyfus). Le procès se déroulera dans une atmosphère tendue, dépassant sur le plan médiatique la crise austro-serbe à la suite de l’assassinat de l’archiduc d’Autriche le 28 juin, pacifistes ou bellicistes s’affrontent en France.
La salle d’audience sera interdite aux femmes, et le président du tribunal aura du mal à faire respecter la cour, le public manifeste, des cris, des injures, des outrages… c’est le théâtre d’affrontements politiques.
L’accusation plaide le crime politique, la défense, le crime passionnel, « jouant sur des stéréotypes sexistes très ancrés alors » comme le titra le Figaro… elle aurait agi suivant une pulsion féminine incontrôlable, Madame Caillaux aurait eu « ses nerfs » et un geste de désespoir !
L’avocat général, à la suite de sa plaidoirie, écartera la préméditation, et il requiert cinq ans de prison ferme. (À cette époque, ce n’est pas le jury qui fixe la peine).
Il posera 2 questions aux jurés, 1, l’accusée est-elle coupable d’avoir donné la mort ? 2 a-t-elle agi avec préméditation ?
Après 50 minutes de délibération, le 28 juillet 1914, les jurés décident l’acquittement ! (Alors que l’accusée a reconnu les faits, que les éléments matériels l’accusent, et que l’enquête a montré la préméditation)
L’acquittement soulève un véritable séisme judiciaire, on sait que Joseph Caillaux a usé de son entregent pour influencer le verdict, le ministre de la Justice est un de ses amis, le procureur général a été nommé commandeur de la Légion d’honneur quelques jours avant le procès, la rumeur court que l’avocat aurait eu la liste des jurés à l’avance, et qu’il aurait récusé tous ceux opposés aux idées de gauche ! Les archives ont confirmé la rumeur.
Cette affaire de meurtre, où se mêlent la petite et la grande histoire, met en lumière les alliances, les marchandages, les acharnements médiatiques, les coups bas et la corruption des juges !
Le 28 juillet, jour même de l’acquittement, l’Autriche déclare la guerre à la Serbie, entraînant l’Europe dans la Première Guerre mondiale… il y a désormais d’autres sujets de préoccupation.
Après son acquittement, juridiquement, Henriette Caillaux n’est pas une criminelle, même si son acte est la cause directe de la mort d’un homme, elle aura un casier judiciaire vierge. Elle préparera et obtiendra un doctorat d’histoire de l’art, et résidera à Mamers avec son époux que beaucoup accusent d’avoir manipulé sa femme. Avoir après démissionné de son poste de ministre, il a été réélu député en mai 1914 dans la Sarthe, pacifiste convaincu, il sera accusé de trahison, condamné à trois ans de prison en 1920 pour « courrier avec l’ennemi », il sera élu sénateur en 1925, il continuera à siéger au Parlement jusqu’en 1944 !
À travers les exemples d’erreurs judiciaires de l’été, 5 siècles plus tard il est toujours vrai que « selon que vous serez puissants ou misérables, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » et qu’il vaut mieux éviter de côtoyer la justice qui peut devenir une machine à broyer imprévisible.
L’invitée du dimanche