Fonds de commerce

Il n’y a pas si longtemps qu’Arnaud Montebourg était débarqué avec pertes et fracas pour manque de solidarité gouvernementale, et j’étais de ceux qui trouvaient cette décision justifiée. Parmi les dossiers dont l’ancien ministre avait la charge, il y avait un projet visant à modifier les prérogatives dont jouissent certaines professions, dites réglementées, parmi lesquelles se retrouvent principalement les notaires, les huissiers et les pharmaciens.

 

Sur le fond de la réforme envisagée, j’avoue que je suis assez partagé. Autant les cris d’orfraie des professionnels concernés sur la difficulté à joindre les deux bouts m’inspirent quelque scepticisme, autant l’ouverture à la concurrence débridée en application de directives d’une Europe ultralibérale me parait recéler des risques pas forcément bien maitrisés. Je n’ai pas remarqué dernièrement beaucoup de faillites dans les secteurs concernés et les officines ou les offices semblent prospérer à l’envi, malgré les investissements très importants qu’ils supposent.

Quoi qu’il en soit, le « bébé » se retrouve entre les mains du nouveau ministre, Emmanuel Macron, et j’ai été assez surpris de lire que Marisol Touraine, ministre de la Santé, et Christiane Taubira, Garde des Sceaux, « volaient au secours » des professionnels menacés par la réforme. Comprenez-moi bien. Je ne suis pas étonné que ces ministres aient des arguments à faire valoir en faveur d’une position ou d’une autre, je suis stupéfait que la discussion intervienne maintenant, au moment où le projet ministériel est pratiquement bouclé et qu’il ne reste plus que des dispositions pratiques à affiner. C’est-à-dire que Montebourg aurait dû se montrer solidaire d’un gouvernement qui n’arrive même pas à se mettre d’accord sur un projet avant de le soumettre à la représentation nationale, ou pas, d’ailleurs, puisqu’il est question de légiférer par ordonnance sur ce sujet. Les bras en tomberaient, s’ils n’étaient déjà à terre. Et moi qui croyais naïvement que le rôle du premier ministre ou du président consistait précisément à arbitrer entre les positions antagonistes quand elles existent !

On voit clairement à travers cet épisode que chaque ministre se comporte en premier lieu comme le défenseur des corporatismes dans son domaine d’influence. Combien de fois a-t-on vu les ministres de l’Intérieur successifs prendre la défense des policiers y compris quand des bavures les rendaient indéfendables ? De même que les professions libérales s’accrochent bec et ongles aux avantages qu’ils ont souvent payés fort cher, les politiques défendent leur fonds de commerce, leur pré carré, fut-ce au détriment de l’intérêt général.